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Un certain 5 août 1934

Le 05/12/2023

Dans Actualités

Du temps où j’étais professeur, il était de coutume de voir débarquer des représentants de maisons d’édition espérant trouver dans le milieu enseignant des personnes avides de savoir. Grave erreur. Au fil du temps, s’apercevant de la désaffection des professeurs à l‘égard de la connaissance, ces démarcheurs se firent de plus en plus rares. Le dernier que je rencontrai, si mes souvenirs sont bons, se présenta il y a une quinzaine d’années dans l’établissement où j’exerçais. Il avait envahi de ses parutions les tables de la salle des professeurs. A une pause, je me mis à feuilleter les ouvrages en question. L’amour des livres, les vieilles éditions comme les nouveautés, ne m’ayant jamais quitté.

L’un d’entre eux, un livre d’histoire dans le style un jour un événement et qui affichait l’ambition de couvrir le vingtième siècle, attira mon attention. Quelle ne fut pas ma surprise de voir les événements du 5 août 1934 à Constantine, en Algérie, y faire l’objet d’une page entière !

Le lecteur ignorera probablement tout de ces événements, qui se sont produits il y a si longtemps et loin de la métropole. S’ils avaient eu lieu ailleurs, par exemple en Russie ou en Pologne, sans la moindre hésitation, on les aurait qualifiés de pogrom. Mais du fait de leur déroulement en terre d’Islam et dans une ancienne colonie française de surcroît, l’euphémisme devient de rigueur.

Rappelons les faits tels qu’on les présente aujourd’hui un peu partout. Un résumé trouvé sur internet les relate assez bien, mais se garde lui aussi de parler de pogrom. Dans la chaleur étouffante d’août à Constantine, une rumeur se répand, le 3 août, dans le vieux quartier judéo-musulman : un soldat juif aurait uriné sur une mosquée. Le lendemain, un autre bruit circule, tout aussi faux : l’assassinat par des juifs du docteur Bendjelloul, un notable très respecté de la communauté musulmane… Le 5 août 1934, des émeutiers musulmans s’attaquent aux juifs. Officiellement, le bilan se monte à 26 morts (23 juifs et 3 musulmans) et 81 blessés (dont 38 juifs et 35 musulmans). L’armée française n’intervient pas pendant deux jours…

Si les faits étaient retracés grosso modo dans le volumineux ouvrage que je tenais entre mes mains, son auteur osait cependant qualifier l’émeute d’interethnique. Autrement dit, même à un contre cinq, il renvoyait dos à dos les deux communautés, disculpant de fait les assassins et fermant les yeux sur leurs motifs. Un peu comme s’il avait renvoyé dos à dos les hutus et les tutsis dans un égal déni de justice. Pour donner un aperçu des forces démographiques en présence, à l’orée des années 30, on comptait sur une population d’une centaine de milliers de constantinois une moitié d’indigènes, un tiers d’européens et dix pour cent d’israélites.

Comme pour Crépol où certains, avec un réflexe pavlovien, ont tenté, en parlant de rixe, de renvoyer dos à dos agressés et agresseurs, je fus donc particulièrement choqué de lire entre les lignes que les miens avaient eu au fond autant de responsabilités dans ces événements que les émeutiers musulmans. D’autant que ma famille vécut dans sa chair cette violence. Un oncle, arrivé à la fin de sa vie, se confia à moi sur le sujet. Cela l’avait marqué plus que je ne saurais dire. Tous les siens avaient été contraints plusieurs jours durant de se terrer chez eux, espérant qu’aucun assassin ne vienne franchir le seuil de leur porte et régler leur sort. Même de traverser la rue il n’en était pas question. Aussi, je décidai d’interpeler le représentant pour lui signifier mon profond dégoût de voir ces événements historiques aussi déformés dans les pages de son ouvrage. Je lui expliquai qu’il avait en face de lui un descendant de témoins directs de l’événement. Et ces témoins, j’étais navré de le lui dire, infirmaient vivement la version progressiste qui en était donnée dans ces pages, au mépris de la vérité la plus élémentaire.

L’homme, qui ne cherchait pas à envenimer les choses, pour une fois qu’un professeur prêtait attention à ses livres, ne répliqua pas et prit note de ma désapprobation. Evidemment celle-ci tomba dans l’oubli, comme on peut l’imaginer. Et l’auteur put continuer sa propagande avec l’agrément de son éditeur sans avoir su l’aversion qu’il avait suscitée. Que les bonnes consciences dorment tranquilles surtout !

Mais quels furent les faits en réalité ? Je vais, pour les décrire, m’appuyer sur les commentaires qu’en a fait Eugène Vallet, le vice-président du Conseil Supérieur de Constantine. L’homme occupait donc un haut poste électif au moment des faits. Au-delà de ses multiples fonctions officielles, celui-ci créera de nombreuses œuvres sociales en faveur des indigènes. Il fut surtout un allié indéfectible du député-maire Emile Morinaud, ex radical-socialiste, ex républicain-socialiste et membre du parti français démocratique, accessoirement directeur du journal Le Républicain de Constantine et antisémite assumé. Aussi le témoignage d’Eugène Vallet ne peut être soupçonné de parti pris ou de favoritisme. Les faits suivants ont résulté des enquêtes officielles diligentées, une fois le calme rétabli. On en trouve un rapport dans un fascicule paru peu après. En voici des extraits.

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Photographie extraite d'un album photo de particulier

Le vendredi 3 août, un militaire juif en état d’ébriété insultait des indigènes musulmans faisant leurs ablutions à la mosquée de la rue Combes. Une dispute, puis une bagarre provoquaient quelques troubles vite réprimés. Le calme revient ensuite. Le lendemain on ne signale pas d’incident. Au contraire, après une réunion à la Mairie avec les élus musulmans et israélites, on s’accorde pour recommander l’apaisement. Le dimanche 5 août, au matin, revenant d’une réunion au Cercle musulman, une foule se répand inopinément dans les ruelles de l’antique Cirta… Comme obéissant à un mot d’ordre, des musulmans se jettent, dans divers points de la cité, sur les israélites isolés, trouvés par eux dans les rues. Une véritable chasse à l’homme se produit dans les différentes artères. On assomme sans pitié, on achève à coups de couteau. Le deuxième adjoint, un israélite, faisant fonction de maire, se rend à la Préfecture pour solliciter de toute urgence des mesures de défense. La police étant débordée, l’intervention de la troupe va être finalement actée.

Mais, pendant ce temps, les émeutiers continuaient leur œuvre de pillage et de mort. De nombreux magasins juifs avaient leurs devantures défoncées, des incendies s’allumaient pendant que, des maisons fermées et des terrasses, les youyous des femmes musulmanes encourageaient les forcenés à l’assaut des carrefours et des maisons. Au retour d’Emile Morinaud dans sa ville (mais d’où revenait-il et combien de temps aura-t-il mis pour réagir ?) des cartouches seront distribuées aux soldats qui auront ordre de faire des sommations et de tirer si les émeutiers ne reculent pas. Entrée en action, l’armée finit par avoir raison d’eux. Dans l’après-midi, on commence à dresser un bilan.

Des familles entières avaient été massacrées. Les émeutiers étaient montés dans des appartements, y avaient tout brisé après avoir tué les habitants. Des femmes avaient été horriblement mutilées, des petits enfants égorgés, comme leurs parents. Une sage-femme, Mlle Attali, qui avait prodigué ses soins à la population indigène, comme à ses coreligionnaires, avait reçu 23 coups de couteau. Son cadavre avait été jeté à la rue. Tous les membres de sa famille avaient été assommés ou égorgés. Seuls, le veux père, imprimeur, trouvé évanoui et un bébé caché précipitamment sous un berceau renversé sur lui, avaient échappé à la mort. 6 cadavres dans cette seule maison…, ailleurs 8 cadavres, dans la famille Halimi.

Mais les faits ne s’arrêtent pas là. La flambée de violences se propage. D’autres exactions vont  se dérouler dans la région, jusqu’à une centaine de kilomètres de Constantine. Des émeutiers armés barraient les routes qui y menaient. Ils arrêtaient les voyageurs, ne laissant passer que les arabes et les français. Autrement dit ne s’en prenant qu’aux israélites. Ce qui fut le cas de deux voyageurs juifs extirpés de leur autocar et mis à mort. Une femme juive eut plus de chance. Elle s’en sortit, par miracle, avec un bras cassé.

Dans les campagnes et dans tout le département, les bruits les plus fantastiques circulaient… la guerre sainte, « El-Djihad », était proclamée.

A Aïn-Beïda, gros centre israélite, tous les magasins juifs avaient été pillés… A Châteaudun-du-Rummel [aujourd’hui Chelghoum Laïd], dans la nuit du 6 au 7 août, 83 israélites étaient attaqués dans des maisons où on les avait réunis par une forte bande armée et ne durent leur salut qu’à l’intervention énergique de la population française…

Et la litanie des massacres s’égrène encore et toujours : coups de feu, coups de couteau, coups de poing, coups de matraque... Enfin, l’action publique prend le relais.

La Justice a ouvert aussitôt les instructions nécessaires au fur et à mesure des arrestations nombreuses qui ont été opérées… Des aveux ont été recueillis de la bouche d’assassins se vantant de leurs forfaits. Des preuves accablantes, affirmant d’horrifiants détails, établissent des culpabilités indéniables.

La communauté juive paiera ainsi un lourd tribut à ces émeutes. Les familles pleureront leurs morts et les pertes matérielles se révèleront considérables, suite aux pillages et aux incendies. Je suppose que l’auteur de ce journal du siècle n’avait pas voulu embarrasser son récit de tels détails du massacre. Il a dû les juger superfétatoires. En effet, les actes de cruauté avaient été édulcorés à dessein.

Eugène Vallet, de son côté, fait preuve d’une évidente intégrité. Il ne nie en rien qu’il s’agisse d’un pogrom. Du reste, il emploie le mot. Puis il se met à en chercher les causes. Il écarte d’emblée une cause souvent mise en avant de nos jours par la gauche, à savoir l’excuse de la misère pour justifier l’explosion de fanatisme. Son analyse, pour être succincte, n’en dégage pas moins les vraies raisons. Il avait vu ni plus ni moins fermenter la future guerre d’Algérie.

Vallet n’évoque pas les fausses rumeurs, celle du soldat juif qui aurait uriné sur une mosquée et celle de l’assassinat par les juifs du docteur Bendjelloul. Certaines narrations modernes de l’événement évoquent plutôt un tailleur qu’un soldat. Mais qu’importe ! De plus, Vallet observe que d’autres rumeurs aussi infondées visaient à accroître le nombre de morts musulmanes, visiblement dans le but d’équilibrer les responsabilités. Quant à la défaillance de l’Etat laissant une population vulnérable aux coups des meurtriers, il n’en est évidemment pas question. Vallet n’allait pas faire reposer la faute sur son mentor Morinaud et son inaction. Au passage, notez le parallèle avec le Bataclan où là aussi l’Etat a failli de toute évidence au vu des témoignages qui commencent à filtrer. On y décèle une même effusion de violences aveugles que des autorités par faiblesse ou par compromission laissent commettre.

Ce qui me frappe, c’est que ce pogrom a eu lieu à une époque où l’Allemagne ouvrait la voie à d’autres pogroms, cette fois à cause de la soldatesque nazie. La concomitance ne peut qu’interroger. La bouffée meurtrière d’une fraction de la population musulmane constantinoise a comme répondu en écho à ce qui se passait au cœur de l’Europe. Je n’oublierai pas de sitôt ces mots : des maisons fermées et des terrasses, les youyous des femmes musulmanes encourageaient les forcenés…

Aujourd'hui la gauche s'invente des dangers et masque les vrais périls comme jadis

Ma famille a vécu, le 5 août 1934, j’ose le dire, une nuit de cristal. En France métropolitaine, la gauche apeurait le peuple avec le 6 février 34, mais elle se gardait bien de l’avertir d’un autre danger en référence au 5 août de la même année ! Ce jour-là, ce ne sont pas des uniformes à la svastika ni des croix de feu qui cassèrent du juif, mais bien des djellabas ! Jusqu’à aujourd’hui, à gauche personne n’a jamais parlé de ces événements pour les dénoncer et reprocher à l’Islam son irrédentisme. Pire, à l’heure actuelle, elle a choisi le camp des musulmans violents contre celui du peuple français innocent, le camp de la banlieue délinquante contre celui des campagnes paisibles. Pour acheter la paix, mais quelle paix ?... Comme elle a choisi jadis de prendre le parti de taire les violences islamiques du 5 août 34 et par voie de conséquence de blanchir leurs auteurs devant le tribunal de l’histoire.¾

 

Photo d'illustration : © Alamy

Gauche Islamisme 5 août 1934 émeute de Constantine