Bien avant que les américains n’entendent les mises en garde de leur président, ils avaient pu lire le réquisitoire d’un certain Wright Mills. Pour autant, celui-ci ne fut guère populaire. Le pays n’était pas prêt à se poser des questions sur l’élite, du fait d’une prospérité naissante. S’interrogeant sur les hommes qui nous dirigeaient, Mills invoque le terme d’élite, au même titre que, six ans plus tard, Eisenhower invoquera celui de complexe militaro-industriel. Mills se penche sur la constitution de l’élite au pouvoir. Pour lui, en font partie ceux qui sont aux postes de commande stratégique de la société, à savoir les grandes corporations, la machine d’Etat et l’establishment militaire. Cet inventaire décrit mieux la réalité que l’expression de complexe militaro-industriel. Au cours de la guerre froide, les intérêts spécifiques de ces acteurs vont peu à peu se mutualiser. Malgré des dissensions internes, constate-t-il, tout ce beau monde manifeste au final une remarquable unité dans les objectifs à atteindre.
L’historien David Talbot écrira en 2015 à propos de l’élite des années 50 : « Les hauts dirigeants d'entreprise, les chefs de gouvernement et les officiers militaires de haut rang entraient et sortaient avec fluidité d’un monde à l’autre, échangeant les rôles officiels, fréquentant les mêmes clubs et éduquant leurs enfants dans les mêmes écoles sélectives. » Cela n’a guère changé. Talbot poursuit : « Mills appelait cette synchronicité professionnelle et sociale, la fraternité de la réussite ». Ces hommes d’affaires, ces hommes politiques et ces hauts gradés de l’armée ne vivaient cependant leur fraternité qu’à travers le prisme de leurs intérêts personnels.
Cette classe dominante contrôlait en réalité la démocratie américaine. La contrôle-t-elle encore de nos jours ? La réponse est élémentaire. C’est oui, plus que jamais. Aucun doute là-dessus. Pire, cette élite n’hésite pas à prendre des décisions mauvaises pour le pays du moment qu’elles servent ses objectifs. On en a eu maintes fois la démonstration depuis trois ans. Qu’avons-nous hérité de sa politique ? Les phénomènes migratoires sauvages, la mise en place du totalitarisme par le biais d’un virus créé dans ses laboratoires, le contrôle de la population par des injections suspectes, les effets indésirables de ces dernières, la guerre, les pénuries, l’inflation galopante, la casse des acquis sociaux, le dévoiement des valeurs humaines… La liste est longue comme le bras.
Reconnaissons à Mills son esprit visionnaire quand il constate la dérive oligarchique en ces termes : « La tendance à long terme du monde des affaires et du gouvernement à devenir plus intriqués et profondément impliqués l’un avec l’autre a atteint un nouveau point explicite. Les deux ne peuvent plus être vus comme deux univers distincts. » Pour y arriver, cette élite a bien pris soin de demeurer invisible aux yeux de l’Amérique. Son action est restée en grand partie cachée et pourtant l’impact sur la vie des américains ordinaires est indubitable.
Les frères Dulles, dont je reparlerai un jour, notamment Allen, incarnèrent particulièrement le cœur de l’élite que Mills étudia à l’époque. Allen Dulles avait dirigé, dès la fin 1945, le CFR, ce réservoir des recruteurs des administrations présidentielles et organisme mondialiste par excellence, puis la CIA jusqu’à ce qu’il se fasse limoger par JFK, suite au désastre de la Baie des cochons. On ne sera pas surpris que la CIA de Dulles continuera à avoir Mills dans le collimateur jusqu’à sa mort en 1962. Pour des individus du calibre d’Allen Dulles, la démocratie représentait un obstacle au bon déroulement de ses affaires et à l’entre-soi de la caste pour le compte de laquelle il agissait. D’ailleurs il avait toujours exprimé le plus grand mépris pour les institutions républicaines. Il se considérait certainement au-dessus, lui qui pendant les deux mandats d’Eisenhower avait recueilli entre ses mains les pleins pouvoirs.