Les hommes du Deep State

Le 21/03/2023

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Complexe militaro-industriel, Establishment mondialiste, Etat profond ou Oligarchie, autant de vocables pour désigner la pieuvre qui s’est immiscée partout au sein du monde occidental et ailleurs. Partout celle-ci agit comme un ennemi de l’intérieur. Pour rendre à César ce qui appartient à César, c’est à un sociologue américain que revient le mérite d’avoir le premier pointé du doigt ce groupe d’hommes influents, dans un ouvrage intitulé L’Elite du pouvoir, paru en 1956. Ce sociologue, c’est Charles Wright Mills. Il avait soixante dix ans d’avance. Autant dire que sa popularité n’était pas à son zénith, de son vivant. Son œuvre lui a toutefois survécu. Le caractère des représentants de cette élite au pouvoir y est particulièrement bien dépeint. Ces hommes, qui prétendent nous en imposer, ne nous ressemblent pas.

Mais replongeons-nous dans cette Amérique d’après guerre. Pour le président Dwight Eisenhower, il est l’heure, ce 17 janvier 1961, de quitter le Bureau Ovale après deux mandats. Et à cette occasion il prononce un discours d’adieu dans lequel il avertit les américains des dangers que fait courir au pays ce qu’il appelle le complexe militaro-industriel. « Dans les services du gouvernement, dit-il avec gravité, nous devons nous méfier d’une influence injustifiée, qu’elle soit voulue ou non, du complexe militaro-industriel. Le risque d’un accroissement funeste des abus de pouvoir existe et persistera. Ne laissons jamais le poids de ce complexe mettre en danger nos libertés ou notre démocratie ! Seuls des citoyens vigilants et informés peuvent imposer une bonne entente entre la machine industrielle et l’appareil militaire de défense, et ce dans des buts pacifiques pour que la liberté et la sécurité prospèrent ensemble. » Le président sortant était visiblement préoccupé par la toute-puissance de ces grandes entreprises aux intérêts coalisés, en mesure de contraindre le gouvernement autant que le Congrès. Pourtant, Eisenhower avait volontairement fait entrer des hommes de ce milieu dans son administration, comme des avocats de Wall Street ou le PDG de General Motors. Peut-être à la longue, et parce qu’il avait fait l’expérience d’une élite avec laquelle il avait de fortes affinités, a-t-il tenu, avant de quitter son poste, à alerter ses concitoyens. Peut-être aussi sa conscience l’a-t-elle travaillé au moment de son départ. Son successeur JFK sera lui aussi confronté à ce défi, au point d’y laisser la vie. C’est dire que les propos d’Eisenhower n’étaient pas prononcés en l’air. Ike connaissait l’ennemi, de l’intérieur. Mais, contrairement à ses vœux, les américains continueront d’être tenus à l’écart des vérités en raison d’une presse soumise, gardienne de l’orthodoxie.

Ike 1961

Eisenhower prononçant son discours d'adieu le 17 janvier 1961

Bien avant que les américains n’entendent les mises en garde de leur président, ils avaient pu lire le réquisitoire d’un certain Wright Mills. Pour autant, celui-ci ne fut guère populaire. Le pays n’était pas prêt à se poser des questions sur l’élite, du fait d’une prospérité naissante. S’interrogeant sur les hommes qui nous dirigeaient, Mills invoque le terme d’élite, au même titre que, six ans plus tard, Eisenhower invoquera celui de complexe militaro-industriel. Mills se penche sur la constitution de l’élite au pouvoir. Pour lui, en font partie ceux qui sont aux postes de commande stratégique de la société, à savoir les grandes corporations, la machine d’Etat et l’establishment militaire. Cet inventaire décrit mieux la réalité que l’expression de complexe militaro-industriel. Au cours de la guerre froide, les intérêts spécifiques de ces acteurs vont peu à peu se mutualiser. Malgré des dissensions internes, constate-t-il, tout ce beau monde manifeste au final une remarquable unité dans les objectifs à atteindre.

L’historien David Talbot écrira en 2015 à propos de l’élite des années 50 : « Les hauts dirigeants d'entreprise, les chefs de gouvernement et les officiers militaires de haut rang entraient et sortaient avec fluidité d’un monde à l’autre, échangeant les rôles officiels, fréquentant les mêmes clubs et éduquant leurs enfants dans les mêmes écoles sélectives. » Cela n’a guère changé. Talbot poursuit : « Mills appelait cette synchronicité professionnelle et sociale, la fraternité de la réussite ». Ces hommes d’affaires, ces hommes politiques et ces hauts gradés de l’armée ne vivaient cependant leur fraternité qu’à travers le prisme de leurs intérêts personnels.

Cette classe dominante contrôlait en réalité la démocratie américaine. La contrôle-t-elle encore de nos jours ? La réponse est élémentaire. C’est oui, plus que jamais. Aucun doute là-dessus. Pire, cette élite n’hésite pas à prendre des décisions mauvaises pour le pays du moment qu’elles servent ses objectifs. On en a eu maintes fois la démonstration depuis trois ans. Qu’avons-nous hérité de sa politique ? Les phénomènes migratoires sauvages, la mise en place du totalitarisme par le biais d’un virus créé dans ses laboratoires, le contrôle de la population par des injections suspectes, les effets indésirables de ces dernières, la guerre, les pénuries, l’inflation galopante, la casse des acquis sociaux, le dévoiement des valeurs humaines… La liste est longue comme le bras.

Reconnaissons à Mills son esprit visionnaire quand il constate la dérive oligarchique en ces termes : « La tendance à long terme du monde des affaires et du gouvernement  à devenir plus intriqués et profondément impliqués l’un avec l’autre a atteint un nouveau point explicite. Les deux ne peuvent plus être vus comme deux univers distincts. » Pour y arriver, cette élite a bien pris soin de demeurer invisible aux yeux de l’Amérique. Son action est restée en grand partie cachée et pourtant l’impact sur la vie des américains ordinaires est indubitable.

Les frères Dulles, dont je reparlerai un jour, notamment Allen, incarnèrent particulièrement le cœur de l’élite que Mills étudia à l’époque. Allen Dulles avait dirigé, dès la fin 1945, le CFR, ce réservoir des recruteurs des administrations présidentielles et organisme mondialiste par excellence, puis la CIA jusqu’à ce qu’il se fasse limoger par JFK, suite au désastre de la Baie des cochons. On ne sera pas surpris que la CIA de Dulles continuera à avoir Mills dans le collimateur jusqu’à sa mort en 1962. Pour des individus du calibre d’Allen Dulles, la démocratie représentait un obstacle au bon déroulement de ses affaires et à l’entre-soi de la caste pour le compte de laquelle il agissait. D’ailleurs il avait toujours exprimé le plus grand mépris pour les institutions républicaines. Il se considérait certainement au-dessus, lui qui pendant les deux mandats d’Eisenhower avait recueilli entre ses mains les pleins pouvoirs.

Dulles freres

Les frères Dulles, Allen à gauche et Forster à droite

L’influence des frères Dulles sur Eisenhower fut si forte que le service d’espionnage bâti par Allen minera un peu plus la démocratie US, déjà sérieusement écornée par ailleurs. Une démocratie avait-elle vraiment besoin d’un vaste réseau sécuritaire ? Probablement pas. Un empire aux visées bellicistes, certainement.

Mills écrit encore sur les traits de caractère de l’élite : « Les hommes des hautes sphères ne sont pas des hommes représentatifs ; leur position élevée n'est pas le résultat d'une vertu morale ; leur succès fabuleux n'est pas véritablement lié à leur mérite […] Ce ne sont pas des hommes façonnés par des partis responsables au niveau national qui débattent ouvertement et clairement des problèmes auxquels cette nation est maintenant confrontée de manière si peu intelligente […] Commandants d'un pouvoir sans égal dans l'histoire de l'humanité, ils ont réussi au sein du système américain d'irresponsabilité organisée. »

On découvre avec Mills que, bien avant les alerteurs du net, des prédécesseurs avaient tiré la sonnette d’alarme. Avant Alex Jones. Avant John Coleman ou Ralph Epperson… Et même avant qu’Eisenhower n’y fasse allusion. Au moment où en Europe naissait une officine sournoise du mondialisme, le club Bilderberg, un homme seul s’était levé pour dénoncer la subtilisation du pouvoir qui se réalisait sous ses yeux. Il avait tout compris. Il avait anticipé la chute de nos démocraties rongées par une camarilla usurpant tous les pouvoirs. Pas étonnant que cette coterie, en silence, n’ait fait que prospérer à notre détriment. Qui écouta Mills en son temps ? Peu de monde hélas. Heureusement que les écrits restent. Nous serons sûrement redevables à ce pionnier d’avoir ouvert la voie. Et son message visionnaire ne devra pas quitter l’esprit des générations futures.¾

 

Photo d'illustration : C Wright Mills sur sa BMW, photographié en 1958 par sa femme Yaroslava (© Nik Mills)

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