« Ce sont des assassins. Ils nous tueront tous ! »

Le 05/07/2025

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S’il fallait aux plus incrédules des preuves que nos dirigeants sont prêts à tous les crimes pour accéder au pouvoir et le conserver, l’affaire Boulin en serait une. Peut-être la plus éminente preuve. Aujourd’hui sont apparus sur la place publique plusieurs témoignages éloquents, celui de la fille de Robert Boulin, Fabienne, celui d’Elio Darmon, le témoin de la dernière heure, et enfin celui de Bernard Fonfred, l’assistant parlementaire de Robert Boulin. Leurs révélations ne laissent guère de doute sur les commanditaires de l’assassinat du ministre Boulin. Celui-ci ne s’est pas suicidé, comme les autorités ont tenté de le faire croire, mais a bien été tué après passage à tabac et abandonné au bord d’un étang, en pleine forêt de Rambouillet, dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979. La caste, emmenée par ses figures les plus déterminées, règle toujours ses comptes à ceux qui lui mettent des bâtons dans les roues, fût-ce au moyen d’un tromblon.

De fait, le meurtre politique n’est pas une spécialité des républiques bananières ni de l’Amérique des années soixante. Dans nos contrées civilisées, le meurtre politique a été aussi l’ultime moyen de « persuasion ». Pour s’en convaincre, sachez que de 1978 à 1981, on a dénombré pas moins de 15 assassinats politiques. Loin de moi l’idée de reprendre toute l’affaire Boulin. Un article n’y suffirait pas. Le sujet nécessiterait des dizaines de pages. Mais l’affaire est revenue sur le devant de la scène médiatique très récemment, à la suite des témoignages évoqués plus haut. Je renvoie notamment aux interviews de Fabienne Boulin-Burgeat sur Tocsin ou sur Radio courtoisie, qui font le point sur ce qu’on sait de la mort de son père.

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Ce qui ne trompe pas, c’est la chape de plomb qui s’abat sur la France et ses médias dans une affaire comme celle-là. Personne n’ose ni enquêter sérieusement ni suspecter qui que ce soit, encore moins les huiles politiques. On se contente du factuel, des banalités d’usage. Les années passent. La lâcheté s’installe. La poussière recouvre le dossier. Et puis les hommes meurent, les uns après les autres. Lorsque tous les protagonistes de l’assassinat sont trépassés, alors la vérité commence à émerger. Commence seulement, car il y a toujours des seconds couteaux en vie ou encore des familles influentes qu’on ne tient pas à voir éclaboussées, même si leur implication le mériterait. Un demi-siècle plus tard, la vérité finit par percer. Elle se fait connaître au moins dans les grandes lignes et, même si justice n’est pas rendue et ne le sera jamais, au tribunal de l’histoire les coupables garderont à jamais une marque d’infamie. On aura découvert que ces gens sans foi ni loi se sont servis de l’Etat pour régler leurs comptes personnels.

Les faits en vrac. Une version officielle invraisemblable (une noyade dans 60 cm d’eau), des policiers et un procureur appartenant au sulfureux Service d’Action Civique, le SAC, une officine faite de barbouzes et de politiciens machiavéliques en cheville avec le milieu, en tout 77 anomalies, invraisemblances, contradictions et autres irrégularités comptabilisées au cours de l’enquête, une enquête bâclée et falsifiée, et ce dès les premiers relevés sur la scène de crime ou plutôt sur le lieu où le corps a été découvert, des analyses médicales non effectuées, des scellés volés, une parodie de justice, des journalistes aux ordres pour relayer la version officielle sans trop poser de questions, une victime pressentie pour être le premier ministre mais qui gênait les chiraquiens du parti gaulliste et leurs gros bras, une tentative de ternir la mémoire de la victime dans une affaire immobilière (une histoire de terrain à Ramatuelle)… tous les ingrédients sont là pour faire passer dans l’opinion publique un odieux crime d’Etat pour un suicide sans lendemain.

Les commanditaires. Jusqu’où est-on remonté aujourd’hui pour désigner les coupables ? Fabienne Boulin-Burgeat n’hésite pas à mettre en cause ceux à qui le crime a profité et à nommer les commanditaires du meurtre de son père. Le témoin Elio Darmon ne fait que corroborer ce verdict. Ce sont Charles Pasqua et « le grand », c’est-à-dire Jacques Chirac. Auxquels on pourrait rajouter l’incontournable monsieur Afrique, l’homme de réseaux, Jacques Foccart, alias « le sphinx ». Pasqua, Foccart ainsi qu’Achille Peretti avaient fondé le SAC vingt ans plus tôt. Et, même si son patron était alors Pierre Debizet, Pasqua et Foccart conservaient la mainmise dessus.

Le SAC. Il était devenu en 1979 une organisation mafieuse avec des ramifications jusqu’au sein de l’Etat. Ses chefs étaient sans scrupules. Le SAC recrutait dans la Justice, la police et les services secrets, le SDEC. Il était bien sûr le mieux placé pour exécuter les basses œuvres. Le procureur général près la cour d’appel de Versailles, Louis-Bruno Chalret, qui sera en charge de l’affaire, en faisait partie. De retrouver les principaux instigateurs d’un crime d’Etat aux manettes de l’enquête sur le meurtre de leur victime, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Eh bien oui, cela rappelle un Allen Dulles très probable donneur d’ordre de l’assassinat de JFK que l’on retrouve ensuite à la Commission Warren pour mieux valider la thèse du tueur isolé Lee Harvey Oswald et torpiller les recherches en direction des vrais assassins. N’est-ce pas le plus sûr moyen pour les coupables voulant étouffer un crime d’Etat et se disculper que de mener eux-mêmes l’enquête sur leur crime ?

Le mobile. Une guerre opposait de manière notoire le président Giscard d’Estaing et son ex-premier ministre Jacques Chirac. Ce dernier, à la tête du parti gaulliste, le RPR, avait une ambition dévorante. Ses dents rayaient le parquet. Déjà, lorsqu’il s’était emparé du RPR à la hussarde, Robert Boulin avait démissionné du parti pour protester. Pour lui, Chirac était un faux gaulliste et un opportuniste. Et il ne faisait pas de doute qu’il briguait la candidature gaulliste à la présidentielle de 1981. Cependant, près de deux ans avant, la rumeur courait que Boulin était un potentiel premier ministre. Ancien résistant et chef de réseau, ce que Chirac ne pouvait prétendre avoir été, Boulin aurait pu ainsi être un meilleur candidat pour les gaullistes. Dès lors, pour les chiraquiens du premier cercle, le sort de Robert Boulin était scellé. Le clan Pasqua Chirac a donc œuvré pour se débarrasser de l’obstacle de plus en plus gênant que constituait le ministre du Travail. Un passage à tabac, sinon un assassinat, ne les arrêtait pas dans leur entreprise d’accession au pouvoir. Le SAC était là pour ça, effectuer la sale besogne.

Le scrutin ne l’ayant pas amené au second tour de la présidentielle en 1981, Chirac voulut au moins être le numéro un à droite pour la fois suivante. Il « poignarda » alors Giscard dans le dos en misant sur Mitterrand au second tour. On connait l’histoire. Giscard ne s’en remettra jamais. Boulin éliminé et Giscard écarté, Chirac deviendra le premier opposant à Mitterrand, à droite. En définitive, le meurtre avait payé ! « Le grand » accèdera, comme chacun sait, à l’Elysée en 1995.

Quant à Giscard, il ne se présenta pas aux funérailles de son ministre. Motif : il était à une chasse (sic) ! Cette incongruité laisse planer un doute sur le jeu réel qu’il a joué.

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La commission du meurtre. Que des barbouzes aient tabassé à mort Robert Boulin, puis que leurs supérieurs aient tenté de maquiller les faits, ne fait plus l’ombre d’un doute. Mais que nous a appris au juste le témoin surprise Elio Darmon ? Il a rapporté tout simplement les aveux malgré eux des exécutants. Darmon fréquentait un club libertin en face de chez lui, l’auberge du Roi René, un repaire de malfrats et de proxénètes. Y grenouillait le petit monde du SAC, dont Pierre Debizet, alias « gros sourcils ». Quel besoin avait-on dans ce milieu d’attribuer à chacun un sobriquet, sinon la dissimulation ! Darmon raconte avoir assisté, un soir au club, à une conversation entre Debizet et les tueurs, deux hommes de main du SAC. Cela se passait deux ou trois jours après le meurtre. Debizet sablait le champagne. Néanmoins, il invective les tueurs : « Le patron vous avait pourtant dit de ne pas le tuer ! » Par le patron, entendez Pasqua. A l’issue de la conversation, tout le monde se lève. Darmon raccompagne Debizet chez lui. En sortant, il aperçoit la mercédès des tueurs. Il aura la présence d’esprit de retenir son numéro d’immatriculation, qu’il notera à son retour sur un papier. Ce numéro griffonné ne quittera plus sa boîte pendant 45 ans ! Darmon s’est tu pendant tout ce temps par peur de « Pasqua et sa clique », avouera-t-il. Il ne voulait pas avoir à se frotter à eux. En 2023, il a décidé de soulager sa conscience. La piste du numéro d’immatriculation s’étant révélée payante, deux noms sont sortis. Darmon a ensuite reconnu les deux tueurs sur des photographies. Le premier est un certain Henri Geliot qui était couvert par la police et le second, Jean-Pierre Maïone-Libaude, qui avait l’habitude d’exécuter des contrats d’élimination pour les services secrets. Si le SAC était à ce point comme un poisson dans l’eau au Roi René pour que ses membres s’y laissent aller à des conciliabules, c’est que le procureur « Chalret y avait aussi sa bouteille ». Il protégeait cet endroit mal famé de toute descente de police et d’éventuelles poursuites.

Les dossiers du ministre. Ces dossiers mouillaient le RPR de Chirac. C’était l’assurance-vie de Robert Boulin. Ils ont disparu d’après la famille, qui n’a jamais compris comment. Elio Darmon leur a répondu. C’est le SAC qui les a récupérés après le meurtre. Il tient ça de Debizet en personne. La bouteille de champagne que celui-ci avait débouchée, c’était pour célébrer le fait d’avoir mis la main dessus.

En guise de conclusion.  Certains diront que c’est du passé. Seulement je ne vois pas pourquoi ces méthodes expéditives et criminelles, demeurées impunies, se seraient arrêtées tout d’un coup. Comme par miracle. A d’autres ! Les meurtres politiques n’ont d’abord pas cessé d’émailler la présidence de Giscard d’Estaing : la mort du prince Jean de Broglie et celle de Joseph Fontanet en attestent. Mitterrand ne fit pas mieux : voyez les morts suspectes de Pierre Bérégovoy et de François de Grossouvre. Récemment, la disparition de l’expert du renseignement, Eric Denécé, qui était très critique envers le pouvoir macronien, soulève bien des questions. Les médias ont parlé là encore de suicide sans convaincre son entourage. Les raisons de son décès restent non élucidées, jusqu’à preuve du contraire. On attend de voir s’il y aura des développements à cette affaire. Peut-être dans 45 ans en saura-t-on davantage. Qui sait ? Quoiqu’il en soit, après la résolution de l’affaire Boulin, personne ne pourra soutenir que le meurtre politique est un fantasme de complotiste.

« Ce sont des assassins. Ils nous tueront tous ! » Voilà ce que confia Robert Boulin à ses proches lorsqu’il sentit venir sa fin. Pensez-vous que, de Giscard d’Estaing à Macron, la probité et la droiture aient fait tant de progrès chez ceux qui nous gouvernent pour qu’ils aient renoncé à recourir au meurtre politique ? Croyez-vous vraiment que son usage en 2025 soit dépassé ? Et pensez-vous que Jacques Chirac laissera à la postérité une image infamante ? A toutes ces questions, le doute est permis.



Photo d'illustration : extraite du film de Pierre Aknine Crime d’Etat (2013) qui retrace l’affaire Boulin. Boulin (joué par François Berléand) à son bureau avec les fameux dossiers compromettants pour le RPR de Chirac