Mais l’historienne avait compris pourquoi l’on tenait coûte que coûte, chez les européistes, à donner crédit à ce mythe andalou. « L’Europe a élaboré le mythe andalou, écrit-elle, comme modèle de civilisation multiculturelle, âge d’or des trois religions. [Aussi] tout ce qui concernait le djihad et la dhimmitude a été éliminé. » Eh oui, c’est bien là le problème. Ce montage fallacieux a pris soin de gommer toutes les aspérités et tout ce qui fâcherait. Dès l’origine, il n’a eu qu’un but, faire passer l’Islam pour compatible avec notre civilisation et donc l’immigration musulmane pour une chance. En se mélangeant à tout va, on pouvait revivre ensemble cet âge d’or. Il fallait donc à ces idéologues asseoir une antériorité historique à leur vivre ensemble. Et ils l’ont fait à partir d’un joli conte de fées, pittoresque à souhait. En fait d’âge d’or comme avenir, nous sommes sur un chemin vers le chaos, semé de cadavres, ceux de nos compatriotes qui ont laissé la vie sous la lame d’assassins abreuvés de foi islamique.
Deux illustres figures, que les laudateurs de l’Espagne musulmane aiment à convoquer, vont nous en dire plus, si on sait les interroger. Par exemple, si on lit le médecin et philosophe juif Maïmonide, mort en exil au Caire en 1204, il n’évoque pas davantage un âge d’or : « Les Arabes, qui nous ont durement persécutés, déclare-t-il, nous ont soumis à une législation funeste et discriminatoire ; jamais nation ne nous a brimés, dégradés, avilis et haïs autant qu’eux. » Mais vous me direz que lorsqu’on pense à l’Espagne musulmane, on pense d’abord au philosophe Averroès. Commentateur des œuvres d’Aristote, celui-ci sera considéré par les bien-pensants comme l’humaniste par excellence et semblera donner raison à la vision idyllique qu’ils veulent offrir des musulmans de cette époque et de ce lieu. Mais ce qu’ils oublient de dire c’est qu’« Averroès encouragea le calife de Cordoue à faire la guerre sainte aux infidèles, c’est-à-dire aux chrétiens ». Vous parlez d’un universaliste ! Son grand-père, avant lui, se prononça en faveur de l’expulsion des chrétiens, ce qui amena le souverain de l’époque à en déporter vers Meknès et Salé où ils furent absorbés par la masse musulmane.
Plus que mansuétude, bienveillance et tolérance, ce sont cruauté, brimades et ségrégation qui caractérisent al-Andalus. La vie des minorités sous domination musulmane n’a rien du tableau hollywoodien de pacotille, que colportent encore les européistes de gauche. Je me souviens d’une émission de la une ou de la deux dans les années 90, qui s’intéressait à un café du Caire, un café où se réunissaient soi-disant des intellectuels progressistes, ouverts d’esprit. Une sorte de Café de Flore à l’égyptienne. Le documentaire était des plus complaisants. On y découvrait, à bâtons rompus, les discours de quelques vieillards, relevant plutôt de propos de comptoir de bistrot. A une exception près, cependant. A partir de l’instant où la conversation porta sur les relations avec le voisin israélien, tous se comportèrent comme d’affreux ultranationalistes, haineux et querelleurs. Sadate était pourtant passé par là. La paix avait été signée entre l’Egypte et Israël, et l’époque des guerres était révolue. Et néanmoins aucun propos pacifique ne sortit de leur bouche. Uniquement de l’amertume et des rancunes ressassées, et aucune hauteur de vue. Nonobstant, ils furent présentés par les auteurs du documentaire comme les dignes héritiers des Sartre et Foucault au pays des pyramides. Affligeant grimage de la réalité en plein cœur de la mégalopole aux mille minarets. Falsification comme savent en pondre les médias pour satisfaire une vision illusoire.
La déconstruction du mythe a dû être poursuivie. En 2017, l’islamologue Serafín Fanjul s’y est attelé dans un ouvrage intitulé Al Andalus, l’invention d’un mythe. Comme le suggère Paul-François Paoli du Figaro Littéraire, Fanjul ne s’est pas fait que des amis en France et en Espagne, en montrant qu’al Andalus ne fut pas cet Islam des Lumières, après lequel courent certains, au beau milieu d’une Europe médiévale, par principe arriérée. Bien au contraire. Et, en 2020, l’essayiste Philippe Conrad a ajouté sa pierre à cette déconstruction, si je puis dire, avec son Al-Andalus, l’imposture du paradis muticulturel.
Alors au Maroc, Macron a une nouvelle fois, comme tout bon mondialiste et comme tout homme de gauche, fait allégeance au mythe et il a feint de croire que ce mythe n’avait pas été déconstruit par les historiens. Pour un qui veut déconstruire la France, s’accrocher au mythe d’un Islam prestigieux n’a finalement rien de surprenant.¾
Photo d’illustration : La bataille de Guadalete en 711, au sud de l’Espagne, entre Omeyyades et Wisigoths, gravure du XIXe siècle. © PrismaArchivo/Leemage