Comme le dirait le juriste Jacques Villemain, pour incriminer quelqu’un, il est nécessaire de prouver que ce quelqu’un a fait le coup « au-delà de tout doute raisonnable ». Ou encore de montrer que la seule hypothèse qui rende compte de tous les éléments du dossier c’est que ce quelqu’un ait fait le coup effectivement.
Dans le cas du meurtre de JFK, qui apparait de plus en plus comme le symptôme d’un grave dysfonctionnement de la démocratie occidentale, peu importe pour certains commentateurs qu’on n’ait pas encore lu ces 80000 pages. Leur opinion était faite. Qu’il est inquiétant de se dire que ces commentateurs peuvent être un jour choisis comme jurés d’un jury d’assises ! S’ils se prononcent sur la culpabilité du suspect avec aussi peu d’éléments, voilà qui ne promet pas que justice soit rendue.
Depuis quelques années, ils ont évoqué l’implication de l’Etat hébreu. Je pense plus particulièrement à Laurent Guyenot. Cette thèse a été abondamment reprise, non sans quelques éléments à l’appui. Cependant, il ne faut pas être dupe. Ceux qui l’ont reprise sont de farouches adversaires d’Israël. J’ai déjà dit tout le mal que je pensais de leurs analyses qui ignorent volontairement l’animosité du monde arabo-musulman envers cet Etat. Mais si cette thèse devait s’avérer avoir un fond de vérité, je ne me déroberais pas. J’analyserais les preuves en toute impartialité.
La thèse de Guyenot tourne autour du rôle joué par le numéro deux de la CIA, James Angleton, directeur du contre-espionnage de 1954 à 1974, anti-communiste notoire, qui aurait dissimulé ses liens avec les services de renseignement israéliens. Voilà pour l’éventuel donneur d’ordre. Aurait-il pris tout seul cette décision, au nez et à la barbe du reste de la CIA ? Cela semble peu vraisemblable. Et si d’autres agents sont impliqués, lesquels ? Sur ce point, ni Guyenot ni les adeptes de sa thèse ne s’expriment évidemment. Quant au motif qu’aurait eu Israël d’exécuter JFK, il s’agirait du projet israélien de se doter de l’arme atomique que JFL aurait voulu entraver. C’est l’avis de l’équipe de Géopolitique Profonde pour qui « c’est officiel : on sait qui a tué JFK ! ». Au-delà de l’effet d’annonce, si on écoute l’émission ainsi intitulée, on n’en saura pas davantage !
Géopolitique profonde nous dit également que « JFK voulait stopper le nucléaire israélien. Deux mois plus tard, il était mort. » Comme si le fait de juxtaposer ces deux événements avait valeur de cause à effet et donc de preuve. Plusieurs posts procèdent de même, mais pour d’autres mobiles. Par exemple, celui-ci : « Le 12 novembre 1963, le président JFK a ordonné à la CIA de l’informer de tous les renseignements classifiés sur les ovnis et de partager ces informations avec la NASA à des fins défensives. Dix jours plus tard, il était assassiné. » A nouveau on a affaire au même misérable procédé qui ne prouve strictement rien. Mais revenons à GPTV. Pour ce média, le successeur de JFK, Lyndon Johnson, « a abandonné immédiatement toutes les pressions sur Israël. Coïncidence ? ». Ses journalistes ont l’air, là encore, de suggérer que ça n’en est pas une. Mais on pourrait alors rétorquer que le même raisonnement vaut pour la guerre au Vietnam, à laquelle tenaient tant le complexe militaro-industriel et le fameux général LeMay. Sur ce dossier aussi, la politique de Johnson virera du tout au tout par rapport à celle de JFK. Et, qui plus est, ce problème était autrement plus gravissime à l’époque des faits, celle de la guerre froide.
Ce genre de procédé me rappelle ce qu’écrivait mon ami Patrick T dans son journal. De mémoire, ça donnait à peu près ça : Le 28 mai 68, moi Patrick T, je me décidais enfin à descendre dans la rue manifester. Le lendemain, de Gaulle fichait le camp à Baden-Baden. Et d’ajouter qu’il ne fallait pas y voir une relation de cause à effet !
Certains commentateurs à droite éprouvent une telle aversion à l’encontre d’Israël qu’ils occultent de manière systématique les agissements des pays arabes et qu’ils sont prêts à se retourner contre leur idole Trump à cause de sa prétendue inclination sioniste. Ils l’ont même suspecté de vouloir renoncer à déclassifier, soi-disant pour camoufler l’implication israélienne dans le dossier JFK. Ce n’est plus, de leur part, de l’antisionisme primaire mais carrément de l’antijudaïsme obsessionnel.
Venons-en au fond du dossier avec un post très détaillé de Black Bond PTV qui semble persuadé de la justesse de la piste israélienne. Voici comment il pose la question de la connexion avec Israël. Par une succession de questions auxquelles il répond à chaque fois en signalant que la personne impliquée était juive. Qui a invité JFK à Dallas le jour de l’attentat ? Le Dallas Citizens Council dont certains membres étaient juifs. Qui a filmé l’assassinat ? Abraham Zapruder, juif lui aussi. Où Oswald a-t-il acheté son arme ? Dans un magasin appartenant à une famille juive. Qui a contraint la police à déplacer Oswald de sa prison pour qu’il soit abattu ? Un homme d’affaires juif de Dallas. Qui était chargé de lire le courrier d’Oswald ? Un agent de la CIA d’origine juive. Qui a tiré sur Oswald ? Jack Ruby alias Jacob Rubenstein. Qui a réalisé le film « JFK » et a évité d’impliquer Israël ? Oliver Stone, dont le père était juif. Et Black Bond de finir par demander Qui a menti à la Commission Warren ? Pour lui, c’est James Angleton, l’artisan du rapprochement CIA-Mossad, qu’il accuse d’avoir caché les ambitions nucléaires d’Israël.
Son argumentaire s’arrête là. Aussi je me demande, si tous ces protagonistes avaient été catholiques, aurait-il dénoncé le Vatican pour autant ? Ceci n’est pas sérieux. En outre, en quoi le film de Zapruder aurait-il servi la cause des assassins, si Zapruder avait été leur complice ? Au contraire, il a contribué à remettre en cause la thèse du tireur unique. Et d’autre part, les autorités complices, sachant ce qu’on pouvait tirer du film, ont fait obstruction à sa divulgation. Insinuer aussi qu’Oliver Stone aurait volontairement égaré son public ne tient pas plus la route. Je rappelle que le film d’Oliver Stone est une adaptation fidèle de l’ouvrage de Jim Garrison, On the trail of the assassins. Garrison n’est autre que le procureur qui a fait trembler le Deep State en instruisant le seul procès jamais intenté contre les assassins. Alors Garrison était-il lui aussi corrompu ? Bien sûr que non. C’était un homme intègre et courageux. Durant son enquête, il réussit à déblayer le faux du vrai et à dégager des vérités. Quand notre ami Black Bond affirme qu’Angleton a menti à la Commission Warren, je lui répondrai : Qui n’a pas menti à la Commission Warren ? A commencer par les membres eux-mêmes de la Commission, comme je l’ai indiqué dans un article précédent. Il accuse Angleton, mais au-dessus il y avait Allen Dulles. Et je ne vois pas Angleton jouer sa partition dans son dos, ni Dulles jouer le jeu d’Israël, connaissant le personnage. Pour l’exemple, quand le rabbin Kalmanowitz tenta d’obtenir de Dulles la localisation du nazi en fuite Eichmann, Dulles se montra d’abord réticent et finit par égarer les recherches en les orientant vers les pays arabes.
Ceux qui sont convaincus de la culpabilité d’Israël oublient que ce dernier n’était pas le seul à avoir des motifs d’éliminer JFK. Citons entre autres l’armée, les magnats de l’acier, la mafia, la CIA, l’URSS, Castro, Johnson… et cette liste est loin d’être exhaustive. Avoir eu un mobile ne fait pas de vous un coupable.
Rien jusqu’à présent, donc, n’indique que la thèse de Laurent Guyenot est à privilégier. La piste de l’Etat profond américain demeure la plus vraisemblable à tous égards. Encore une fois les assassins devaient avoir les moyens logistiques de réaliser une telle entreprise criminelle en même temps qu’ils devaient en ressentir la nécessité absolue. Mais ils devaient aussi avoir les moyens de garder le secret sur leur forfait et d’imposer une chape de plomb pendant des décennies.
Et puis quelle serait la chaîne de commandement censée remonter jusqu’à Ben Gourion, comme le soupçonnent certains ? Aucun d’eux n’évoque la question. Prudence oblige. De plus, Ben Gourion avait quitté le pouvoir en juin 63, plusieurs mois avant l’assassinat de JFK. Selon l’historien Martin Sandler, il aurait eu des discussions houleuses avec le président américain hostile à l’acquisition de la bombe atomique par Israël. Mais encore une fois avec qui JFK n’a-t-il pas eu de discussions houleuses durant son mandat ? Par ailleurs, je ne vois pas comment relier ce fait aux éléments circonstanciés de l’enquête de Garrison. Et comment les services israéliens de l’époque auraient-ils pu s’y prendre pour s’emparer des commandes de la première puissance mondiale ? Ils ont peut-être réussi trois ans plus tôt à ramener Eichmann d’Argentine, mais ils n’auraient pu mener à bien une opération aussi complexe que l’assassinat de JFK sur le sol américain. Quoiqu’on en dise, aucune preuve au sens où l’entend Jacques Villemain ne vient étayer l’hypothèse de Guyenot. Je crois surtout que ceux qui l’avancent vont trop vite en besogne, animés qu’ils sont par leurs préjugés antisionistes.
Mais la pire des interventions, on la doit à Jean-Dominique Michel qui se base sur la position d'un Jeffrey Sachs. Hélas pour lui, avoir eu raison sur le covid n’empêche pas de débiter sur JFK un narratif convenu au lieu de se contenter de faits avérés. Jean-Dominique Michel nous livre en vérité une succession d’affirmations gratuites sans présenter aucune pièce, contrairement à son habitude, dans le seul but de diffamer Israël, faisant même passer le Deep State pour une victime collatérale des manœuvres de l’Etat hébreu et les Rockefeller pour d’aimables nababs soumis au lobby juif. Quant au déroulé de l’assassinat, il élude encore plus la question.
J’avais remarqué son antisionisme mais là c’est un déchainement, qui donne libre cours davantage à sa haine qu’à sa sagacité d’enquêteur. Non seulement il recycle la vieille théorie du complot juif qui s’abat sur le monde, mais encore il sacralise des dictateurs arabes comme Nasser ou Saddam Hussein. Il les fait passer pour d’affables nationalistes, occultant leur parcours sanglant. Il déborde tellement de son sujet qu’il n’a pas le temps de le traiter. En revanche, il se polarise sur Israël, allant jusqu’à le rendre responsable de l’islamisme. Rien que ça. Et comme toujours cela permet de dédouaner les dirigeants du monde arabe, leur pseudo nationalisme de jadis et leur religion d’amour et de paix. Ce dernier point étant particulièrement insupportable, il ne fait que discréditer son auteur. Je finirais par croire à son antisémitisme, la seule chose à laquelle il n’ait pas renoncé de son passé d’homme de gauche. Non, décidément, on ne s’improvise pas enquêteur, d’autant plus si on se laisse aller à ses préjugés.¾
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