La douceur de vivre

Le 18/09/2024

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Accordons-nous un moment de réflexion ou plutôt d’introspection au milieu du tumulte. Ce n’est pas pour autant que la marche du monde en sera affectée, n’est-ce pas ? Restons humble. Je vais donc faire écho ici à un souvenir qui me revient souvent. Celui d’une parenthèse enchantée, pour reprendre une expression hélas galvaudée. Nous sommes au début des années 2000. J’avais pour mission de visiter une étudiante sur le site du Commissariat à l’Energie Atomique, au sud de Paris, où elle faisait un stage. L’équipe d’ingénieurs au sein de laquelle elle avait travaillé m’accueillit comme il se doit, et même mieux que cela. On avait mis les petits plats dans les grands pour ma venue. Durant la journée, l’équipe redoubla d’amabilité et de prévenance à mon égard. Ce fut pour moi un vrai retour en arrière au temps où le savoir-vivre était de mise, celui de mes jeunes années.

Après la visite des locaux, nous gagnâmes une salle qui nous avait été réservée pour le déjeuner. On nous servit un repas de qualité, mais surtout la conversation fut des plus cordiales. En la compagnie de mes hôtes, je retrouvais une convivialité et une hauteur de vue dans les propos, bref une douceur de vivre que seules mes années de jeunesse m’avaient fait connaître. La rigueur de l’époque laissait déjà de moins en moins place aux convenances, pour ne pas exprimer mon entière satisfaction après l’entrevue. Nous quittâmes la table vers 16 heures, et je rentrai chez moi, ravi, la bouche pleine de cette délicieuse journée.

Je l’associai aussitôt à un autre moment de bonheur enfoui au fond de ma mémoire, le souvenir du plaisir d’avoir vu, à la télévision, la première retransmission de La demoiselle d’Avignon. Le début en particulier m’avait fasciné, lorsque de jeunes kurlandais, venus du grand froid rendre hommage à leur reine Adélaïde devant sa stèle en Avignon, sont conviés à aller passer le reste de leur séjour dans la demeure ancestrale des Fonsalette. Ce passage-là respire la béatitude, ce n’est pas peu dire. Tout n’est que sérénité et harmonie. La sensualité des paysages évoque Corot. Les vieilles pierres, les enfants qui rient, une maitresse des lieux avenante (le portrait craché d’une de mes tantes), tout concourt à la féérie de l’instant. Ainsi assiste-t-on à une fête improvisée, même pour le simple spectateur, qui baigne dans cette atmosphère de musique, d’humour et de joie. Le point d’orgue enfin, un repas aux chandelles sous les pins et l’amour qui nait entre Koba la voyageuse et le fils Fonsalette, archéologue à ses heures perdues. Les premières scènes de cette rencontre furent pour moi une sorte de révélation. Des liens si beaux qui se forgent par la magie des circonstances et des êtres ne peuvent que marquer d’une manière indélébile. Eh bien, ce que j’avais moi-même vécu dans la cathédrale de l’atomisme français m’avait laissé la même sensation idyllique que celle ressentie au cours de cette fiction, des décennies plus tôt. C’est dire combien je fus impressionné par la délicatesse de l’accueil qui m’avait été réservé. Merci pour ce moment, leur aurais-je bien dit, si j’en avais eu l’impudeur !

Aujourd’hui, on ne fait plus, à la télévision ni ailleurs, dans ce genre de poésie. De fil en aiguille, j’ai remonté le temps afin de savoir d’où me venaient ces sensations de douceur de vivre. J’ai repensé à mes jeunes années, et j’ai mesuré à quel point elles provenaient des années soixante, soixante-dix. Mais à quoi était-ce dû ? Certes, nous vivions en temps de paix, mais le monde tremblait aussi de peur d’être englouti par un Armageddon nucléaire. La guerre froide n’était pas qu’une expression. Certes, quinze ans après la guerre, l’économie se redressait. C’était les trente glorieuses. Pour autant, c’était ailleurs qu’il fallait chercher en quoi l’époque avait pu être un havre d’insouciance et d’optimisme.

Cet ailleurs, ce sont les offrandes que la France m’a faites : son immense culture, ses arts les plus précieux et sa prédisposition à la joie de vivre. La nation me les a accordés dans sa grande bonté. Je lui en serai éternellement reconnaissant. En revanche, j’exclurai du pacte national ceux qui se sont employés à la saccager depuis. Ceux qui ont imposé leur idéologie morbide aux contours enjôleurs, ceux qui ont réussi à faire haïr le pays de ses propres habitants avant de l’offrir en pâture à une multitude d’énergumènes ingrats, cruels et fanatiques, au nom d’une pitié dangereuse.

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La haine de soi savamment cultivée en France sous le magistère de la gauche... comment ensuite être heureux ?

Les années soixante furent, on le sait, l’époque des grands projets : le Concorde, le parc nucléaire, l’arme atomique, l’entrée dans l’ère aérospatiale et dans l’informatique, l’infrastructure routière, le développement de la recherche scientifique, et même, dans le domaine culturel, les grandes expositions comme celle de Toutankhamon et son temps en 1967. La culture française rayonnait de nouveau, courte période des lumières bientôt éclipsée par l’arrivée d’une gauche intolérante et élitaire qui allait faire de la culture sa chasse gardée et de la politique une colonie. Une gauche, les bras pleins de promesses, toutes plus trompeuses les unes que les autres. Mais auparavant la télévision d’Etat avait eu le temps d’imprimer les esprits par son message formateur. Je me souviens du Théâtre de la Jeunesse par exemple, des pièces de Molière qu’on donnait les jeudis après-midi et que je n’aurais ratées pour rien au monde, appréciant de suivre l’intrigue, le texte de la pièce sous les yeux. Sur nos petits écrans, il y eut également des événements théâtraux de haute tenue comme les Perses d’Eschyle. Des conteurs, sorte d’aèdes du XXème siècle, tels les historiens Alain Decaux ou André Castelot, captivaient leur auditoire. Avec leur caméra qui explore le temps, nous vécûmes de grandes heures. La télévision était pourtant décriée par la gauche. Trop révérencieuse envers le grand Charles, à son goût ! Pourtant personne ne sut lui rétorquer qu’elle avait ouvert ses portes au communiste Stellio Lorenzi pour de belles adaptations d’œuvres littéraires ou à l’homme de gauche Claude Santelli. Une fois au pouvoir, la gauche a-t-elle fait preuve de la même ouverture d’esprit avec des hommes de culture catalogués par elle à l’extrême-droite ? Certainement pas !

Plus tard, une émission allait nous fidéliser comme jamais : Apostrophes. Tous les vendredis soirs, nous étions scotchés à nos téléviseurs et buvions les paroles des invités. La télévision s’ouvrait en parallèle à d’autres horizons. Entre autres, à la science avec François de Closets, à la découverte du monde, sa géographie et ses peuplades, avec Pierre Sabbagh, et à toutes les disciplines allant de l’Archéologie à l’Histoire avec les Dossiers de l’Ecran… C’était de grands-messes, mais pas un show comme les émissions suivantes le deviendront. A la radio, le Masque et la plume avait indiqué la voie à suivre. On en sortait moins ignare et plus curieux. La culture n’était pas encore un spectacle où les paillettes l’emportaient sur le gai savoir. Quant au célèbre Au théâtre ce soir, malgré son ton léger et son absence de prétention, il fut notre seule occasion à nous, enfants du peuple, qui ne fréquentions pas les grands boulevards parisiens, d’aller au spectacle le samedi soir et de nous y divertir au même titre que l’élite de la capitale.

Un qui a saisi cette douceur de vivre de l’époque, c’est Eric Zemmour. Peut-être parce que j’ai eu un début de parcours similaire au sien, je retrouve, notamment dans son Suicide français, l’évocation de ces douces années. Qu’on ne s’y méprenne pas, ce n’est pas seulement, chez moi, de la nostalgie d’une époque révolue. Cela vient plutôt de ce que les années 60 nous avaient procuré et que les années 2020 s’emploient au contraire à effacer. Ces dernières resteront dans les mémoires comme les années covid, une époque dominée par des dévoyés et des malfaisants, qui n’auront eu aucun sens du bien commun. Les valeurs qu’ils auront cherché à répandre en sont l’exact opposé et n’auront fait que refléter leur mauvais fond.

Nous allons voir quelle est au juste cette merveille qui nous fait tant défaut en ces âges barbares, mais auparavant il nous faut revenir au Suicide français. Zemmour y raconte que De Gaulle ne se faisait guère d’illusions. Il savait qu’il ne faisait que retarder la décadence de la France. Il y a dix ans, avant même l’arrivée d’un Macron, le polémiste, comme ses ennemis aiment à l’appeler, l’avait très bien décrite. Depuis, le tableau s’est encore obscurci. « La France se couche, soupirait-il. La France se meurt […] elle se voit contrainte d’ingurgiter des valeurs et des mœurs aux antipodes de ce qu’elle a édifié au fil des siècles. Nos élites […] s’en félicitent. Elles somment la France de s’adapter aux nouvelles valeurs. Elles crachent sur sa tombe et piétinent son cadavre fumant […] Elles ont désintégré le peuple en le privant de sa mémoire nationale par la déculturation […] Toutes observent, goguenardes et faussement affectées, la France qu’on abat… »

Eh bien, la déculturation manifeste, que déplore Eric Zemmour, est précisément à l’origine du mal du siècle. En effet, la douceur de vivre, dont je regrette tant la disparition, découlait pour l’essentiel de la culture, cette merveilleuse culture française dont Macron a nié qu’elle existe, et pour cause, son but étant de la dissoudre définitivement. Or, la culture est ce qui unifie une nation, d’autant plus lorsqu’elle est millénaire comme la France. Elle en est le ciment et nourrit ses enfants. Et du moment que la nation est réunie autour de sa culture, elle préserve la douceur de vivre ensemble. Le véritable vivre-ensemble, quoi ! Pas celui du progressisme, qui est tout sauf inclusif, ce qu’il prétend être à tort. Alors pas étonnant que la déculturation à haute dose, subie depuis un demi-siècle, ait conduit à son contraire, le mal de vivre d’aujourd’hui.¾

 

Photo d’illustration : extraite du film La Demoiselle d’Avignon, la rencontre entre Koba et Fonsalette.

Gauche Charles de Gaulle Douceur de vivre Mal du siècle