Les années soixante furent, on le sait, l’époque des grands projets : le Concorde, le parc nucléaire, l’arme atomique, l’entrée dans l’ère aérospatiale et dans l’informatique, l’infrastructure routière, le développement de la recherche scientifique, et même, dans le domaine culturel, les grandes expositions comme celle de Toutankhamon et son temps en 1967. La culture française rayonnait de nouveau, courte période des lumières bientôt éclipsée par l’arrivée d’une gauche intolérante et élitaire qui allait faire de la culture sa chasse gardée et de la politique une colonie. Une gauche, les bras pleins de promesses, toutes plus trompeuses les unes que les autres. Mais auparavant la télévision d’Etat avait eu le temps d’imprimer les esprits par son message formateur. Je me souviens du Théâtre de la Jeunesse par exemple, des pièces de Molière qu’on donnait les jeudis après-midi et que je n’aurais ratées pour rien au monde, appréciant de suivre l’intrigue, le texte de la pièce sous les yeux. Sur nos petits écrans, il y eut également des événements théâtraux de haute tenue comme les Perses d’Eschyle. Des conteurs, sorte d’aèdes du XXème siècle, tels les historiens Alain Decaux ou André Castelot, captivaient leur auditoire. Avec leur caméra qui explore le temps, nous vécûmes de grandes heures. La télévision était pourtant décriée par la gauche. Trop révérencieuse envers le grand Charles, à son goût ! Pourtant personne ne sut lui rétorquer qu’elle avait ouvert ses portes au communiste Stellio Lorenzi pour de belles adaptations d’œuvres littéraires ou à l’homme de gauche Claude Santelli. Une fois au pouvoir, la gauche a-t-elle fait preuve de la même ouverture d’esprit avec des hommes de culture catalogués par elle à l’extrême-droite ? Certainement pas !
Plus tard, une émission allait nous fidéliser comme jamais : Apostrophes. Tous les vendredis soirs, nous étions scotchés à nos téléviseurs et buvions les paroles des invités. La télévision s’ouvrait en parallèle à d’autres horizons. Entre autres, à la science avec François de Closets, à la découverte du monde, sa géographie et ses peuplades, avec Pierre Sabbagh, et à toutes les disciplines allant de l’Archéologie à l’Histoire avec les Dossiers de l’Ecran… C’était de grands-messes, mais pas un show comme les émissions suivantes le deviendront. A la radio, le Masque et la plume avait indiqué la voie à suivre. On en sortait moins ignare et plus curieux. La culture n’était pas encore un spectacle où les paillettes l’emportaient sur le gai savoir. Quant au célèbre Au théâtre ce soir, malgré son ton léger et son absence de prétention, il fut notre seule occasion à nous, enfants du peuple, qui ne fréquentions pas les grands boulevards parisiens, d’aller au spectacle le samedi soir et de nous y divertir au même titre que l’élite de la capitale.
Un qui a saisi cette douceur de vivre de l’époque, c’est Eric Zemmour. Peut-être parce que j’ai eu un début de parcours similaire au sien, je retrouve, notamment dans son Suicide français, l’évocation de ces douces années. Qu’on ne s’y méprenne pas, ce n’est pas seulement, chez moi, de la nostalgie d’une époque révolue. Cela vient plutôt de ce que les années 60 nous avaient procuré et que les années 2020 s’emploient au contraire à effacer. Ces dernières resteront dans les mémoires comme les années covid, une époque dominée par des dévoyés et des malfaisants, qui n’auront eu aucun sens du bien commun. Les valeurs qu’ils auront cherché à répandre en sont l’exact opposé et n’auront fait que refléter leur mauvais fond.
Nous allons voir quelle est au juste cette merveille qui nous fait tant défaut en ces âges barbares, mais auparavant il nous faut revenir au Suicide français. Zemmour y raconte que De Gaulle ne se faisait guère d’illusions. Il savait qu’il ne faisait que retarder la décadence de la France. Il y a dix ans, avant même l’arrivée d’un Macron, le polémiste, comme ses ennemis aiment à l’appeler, l’avait très bien décrite. Depuis, le tableau s’est encore obscurci. « La France se couche, soupirait-il. La France se meurt […] elle se voit contrainte d’ingurgiter des valeurs et des mœurs aux antipodes de ce qu’elle a édifié au fil des siècles. Nos élites […] s’en félicitent. Elles somment la France de s’adapter aux nouvelles valeurs. Elles crachent sur sa tombe et piétinent son cadavre fumant […] Elles ont désintégré le peuple en le privant de sa mémoire nationale par la déculturation […] Toutes observent, goguenardes et faussement affectées, la France qu’on abat… »
Eh bien, la déculturation manifeste, que déplore Eric Zemmour, est précisément à l’origine du mal du siècle. En effet, la douceur de vivre, dont je regrette tant la disparition, découlait pour l’essentiel de la culture, cette merveilleuse culture française dont Macron a nié qu’elle existe, et pour cause, son but étant de la dissoudre définitivement. Or, la culture est ce qui unifie une nation, d’autant plus lorsqu’elle est millénaire comme la France. Elle en est le ciment et nourrit ses enfants. Et du moment que la nation est réunie autour de sa culture, elle préserve la douceur de vivre ensemble. Le véritable vivre-ensemble, quoi ! Pas celui du progressisme, qui est tout sauf inclusif, ce qu’il prétend être à tort. Alors pas étonnant que la déculturation à haute dose, subie depuis un demi-siècle, ait conduit à son contraire, le mal de vivre d’aujourd’hui.¾
Photo d’illustration : extraite du film La Demoiselle d’Avignon, la rencontre entre Koba et Fonsalette.