En l’occurrence, il s’agira dans cet article de donner un aperçu de la réalité du pouvoir durant les années Mitterrand. Ces années étaient censées représenter un progrès dans la vie des gens. C’est pourquoi j’ai été atterré, sans voix, après avoir écouté les interviews d’Hubert Marty de 2016. Hubert Marty est un ancien directeur des Renseignements Généraux, au temps où François Mitterrand résidait à l’Elysée. Il connait mieux que n’importe qui le milieu politique. C’est la raison pour laquelle son témoignage est convaincant. Sans langue de bois, il ressort certaines affaires qui ont émaillé les deux septennats du promeneur du Champ de Mars. Avec son récit, tout un monde de prédateurs et de prostitués refait surface et donne de la cour mitterrandienne une image dantesque. Dans ce milieu, on tue comme on respire, on truande et on soudoie à tire-larigot. Une haute société reprend vie, aux mœurs plus ignobles les unes que les autres, une société hideuse et pourrie jusqu’à l’os, un cloaque où sévit le vice, où la soif du pouvoir, l’absence de scrupules, l’immoralité la plus exacerbée, le recours au crime se justifient du moment qu’on arrive à ses fins. L’ex-commissaire évoque aussi, au vu des éléments qu’il possède, nombre de morts suspectes, de Coluche à Bérégovoy. Il évoque même les attentats du 11 septembre.
Une de ces affaires, pour laquelle la version officielle est largement contestée par Marty, est celle du « suicide » de Pierre Bérégovoy, le 1er mai 1993, un mois après avoir quitté Matignon. Marty, qui a bien connu l’intéressé, soulève tout un tas d’incohérences dans l’enquête qui s’ensuivit. Ayant eu accès aux photos du cadavre, selon lui, deux orifices d’entrée dans le crâne sont bien visibles, dont l’un au sommet, ce qui, vous en conviendrez, est peu compatible avec un suicide. Viennent ensuite des témoins sur les lieux, qui n’ont pas vu leur témoignage pris en compte. Une épouse, Gilberte, qui conteste formellement que son mari ait eu l’intention d’en finir avec la vie. En revanche, peu avant sa mort, Bérégovoy s’était senti traquer. Il déplora ainsi plusieurs vols, dont celui de son coffre fort à l’assemblée, rien que ça. Qui peut opérer un casse à l’Assemblée, sinon une barbouze ? Le propre notaire de Pierre Bérégovoy, que l’enquête a pris soin de ne pas interroger, s’est confié à Marty. Bérégovoy, la veille de sa mort, était dans un état d’inquiétude flagrant. Il savait qu’il s’était aliéné de puissants ennemis, lui qui avait déclaré quelques mois plus tôt sa volonté de combattre la corruption à grande échelle. « On soupçonne certains hommes publics, avait averti le premier ministre devant l’Assemblée Nationale, de s’être enrichi personnellement de manière illégale […] s’ils sont coupables, ils doivent être châtiés ; dans tous les cas la justice doit passer ». Rappelons que les affaires de corruption n’ont pas cessé de jalonner les années 80 et 90 : Crédit Lyonnais, Elf et l’affaire des frégates de Taïwan, pour n’en citer que trois. Dans chacune d’entre elles, seuls des lampistes écoperont. Les gros poissons s’en sortiront, que ce soit sur le plan politique ou financier, et ne paieront pas les pots cassés. Dans l’affaire du Crédit Lyonnais, ce seront les français qui les paieront avec la création du RDS. Juppé présentera la note lui-même aux français. Droite ou gauche au pouvoir, la victime à l’arrivée est toujours le peuple français, mis à contribution chaque fois pour éponger les dettes des gros bonnets.
Mais Bérégovoy, un homme du peuple qui ne venait pas du sérail, avait cru pouvoir nettoyer les écuries d’Augias. Il avait cependant sous-estimé la détermination de ses ennemis. On se souvient de ses paroles prononcées en brandissant une feuille comme avertissement : « J’ai ici une liste de personnalités dont je pourrais éventuellement vous parler. Je m’en garderai bien ! » Malgré cette précaution oratoire, le message constituait une trop grande menace pour ceux qu’il mettait au défi. Une fois ces mots lâchés devant la représentation nationale et l’ensemble des français, Il avait signé son arrêt de mort. Entre temps, on lui lâcha les chiens en le harcelant avec une affaire de prêt sans intérêt contracté auprès de Roger-Patrice Pelat, un ami de Mitterrand.