Ces conflits qui n’empêchent pas le monde de dormir

Le 15/12/2023

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Jugez de l’angoisse qui nous a saisis lorsque ces deux ennemis héréditaires ont décidé de se jeter dans une sanglante bataille, présageant d’y engloutir le monde entier. Nous avons tous retenu notre souffle et le retenons encore. La stupeur et l’effroi ont gagné la planète. Qu’un différend ancestral comme celui-là se termine en guerre généralisée, c’est notre appréhension. Suite à une possible provocation, l’un a décidé d’envahir le territoire de l’autre, et l’opprobre s’est abattu sur lui.

S’agit-il d’Israël et de Gaza ? Eh bien, vous n’y êtes pas ! Mais alors pas du tout. Il s’agit du choc entre deux belligérants potentiels, le Venezuela et le Guyana, à propos de la province d’Essequibo qui est actuellement sous l’autorité du Guyana, mais que revendique le Venezuela.

Le président Maduro a organisé un référendum aux allures de plébiscite, comme il se doit dans une dictature. A 95,4 %, score aussi chimérique que flatteur, ses concitoyens se sont prononcés en faveur d’une annexion pure et simple de la province en question. Des manifestations avaient même été organisées par le pouvoir et encadrées par les militaires. Suite au scrutin et fort de cet ersatz d’accréditation démocratique, le numéro un vénézuélien a déclaré vouloir libérer l’Essequibo.

Mais, dans cette querelle, qui se préoccupe du Guyana ? Qui se préoccupe de l’ONU qui depuis le début a exhorté le Venezuela à renoncer à une opération militaire ? Qui parle de colonisateur à propos du Guyana pour avoir la mainmise sur l’Essequibo ou au contraire à propos du Venezuela pour sa volonté d’annexer manu militari un territoire disputé ? Qui parle de colons, encore une fois que ce soit d’un côté ou de l’autre ? Qui parle de résistance légitime et d’occupant dans ce conflit ? Eh bien personne. Même les deux parties impliquées ne le font pas. Un seul conflit au monde a droit à ce traitement. Je vous laisse deviner lequel.

Le Brésil, pourtant dirigé par Lula, un camarade de Maduro dans la grande confrérie des dirigeants de la gauche sud-américaine, a amassé des troupes. On évoque 300 soldats brésiliens et des dizaines de blindés stationnés à sa frontière avec le Venezuela pour venir à la rescousse du minuscule Guyana. Lula tient à contrecarrer une invasion de la province par l’ami bolivarien.

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Le petit préambule auquel j’ai eu recours, au-delà de son effet trompeur, n’avait pour but que de souligner combien un tel conflit pouvait laisser indifférent le monde entier et n’appeler sur aucun des belligérants la réprobation ou le courroux. Et des conflits comme celui-là sont légion. Un conflit où personne ne parle de la légitimité de l’un ou de l’autre à réclamer un territoire comme l’Essequibo. Où personne n’invective un pays et ses habitants à coup de colons et d’occupants. Seul un conflit attire autant sur lui la haine. Une haine qui se focalise toujours sur le même Etat. Et il n’a pas lieu en Amérique latine, vous l’avez compris. Un seul conflit déclenche autant la peur par la déflagration qu’il peut engendrer. Non à cause de ses victimes en réalité, mais bien à cause de son enjeu eschatologique.

Ici, ce sont deux tristes sires d’extrême-gauche qui se toisent et la communauté internationale semble s’en laver les mains. Que la guerre soit déclarée ou pas, qu’il y ait des morts civils ou pas, qui s’en souciera ? Lula ou Maduro ne risquent pas d’être diabolisés. Et, s’il éclate, le conflit avec ses victimes disparaitra dans les oubliettes de l’histoire comme tant d’autres. Les médias se chargeront de l’invisibiliser. Et aucun camp ne recueillera de condamnation unanime.

Si l’on creuse un peu, on verra que le pétrole est encore à l’origine du litige. Le Venezuela, qui en regorge pourtant, lorgne sur le surcroît de production que constituerait l’apport de l’Essequibo. Mais à quoi lui servirait-il si le Venezuela l’exploite aussi mal que le sien propre ? En effet, en dépit d’une pareille manne, l’économie du pays est exsangue depuis des années et des années. Vingt cinq ans d’économie dirigée sous le patronage néo-communiste, ça vous plombe sérieusement une nation.

Donc de gigantesques réserves d’or noir ont été découvertes dans la province d’Essequibo. Le nœud du problème est là. Cela n’a pas manqué d’aiguiser les appétits. Sans plus attendre, les autorités du Guyana ont octroyé des concessions aux multinationales du secteur des hydrocarbures. Parmi elles se trouve la compagnie pétrolière ExxonMobil. Ses forages ont déjà débuté sur le plateau maritime de l’Essequibo. Le Venezuela a aussitôt réagi en parlant d’opérations illégales ; ce serait presque comique de la part d’un régime aussi peu respectable que le régime chaviste, même si, je le reconnais, ils ont en face d’eux un autre ogre, le Deep State. En effet, les américains sont à la manœuvre. C’est d’ailleurs là l’explication de l’intervention brésilienne. Leur pion Lula, si proche des démocrates américains qu’il en a oublié ses frères bolivariens, a par son action volé au secours des intérêts du Deep State, en réponse aux rodomontades de Maduro. Au lieu de dénoncer simplement les agissements de Washington, Maduro a préféré montrer les muscles et entonner sa rhétorique néo-marxiste. Il n’y a pas que le mondialisme occidental qui abuse de propagande. Un de ses généraux, à la mode Alcaraz, n’a-t-il pas dit avec forfanterie que le Venezuela était prêt à se battre pour l’Essequibo par « le sang et le feu » ? Caramba !

Que je suis attristé de lire sur les réseaux, qu’on dit patriotes, des commentaires irresponsables par méconnaissance de l’histoire. Beaucoup sont prêts à défendre Maduro, oblitérant exprès son lourd passif. A moins qu’ils n’en sachent rien, après atout. Ils me font penser à ces gauchistes, du temps de la guerre des Malouines, qui étaient prêts à défendre la junte militaire argentine et son chef, le charmant général Videla, contre la dame de fer, la sinistre Thatcher, par simple haine de cette dernière. Abandonnées une fois de plus les folles de Mai qui manifestaient si crânement pour leurs fils, martyrs d’une dictature sanglante, pourvu qu’ils puissent haïr tranquillement la gorgone du 10 Downing Street.

Mais comparaison n’est pas raison, dira-t-on. Le sang n’a pas coulé, que l’on sache, sur la terre d’Essequibo. Du moins pas encore. Alors tournons le projecteur vers l’est de la république démocratique du Congo, une région prisée pour ses ressources minières elle aussi. Depuis l’an 2000, des hommes et des femmes meurent par millions dans l’indifférence de la communauté internationale, celle des médias et, je dois le dire, des opinions publiques elles-mêmes. Une extermination des populations congolaises est organisée par des groupes armés derrière lesquels s’abritent des Etats voisins (M23), des intérêts économiques (la Codeco) ou l’Etat islamique (les ADF). Il s’agit de la guerre du Kivu. Mais qui en a entendu parler ? C’est pourtant le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les lamentations et les souffrances de ce peuple sont inaudibles. Les bouchers eux ne risquent pas de sitôt d’être honnis pour leurs crimes. A cet interminable génocide qui s’étend sur un quart de siècle, le présent lui réserve un silence de plomb, quand le futur lui promet l’oubli total.¾

 

Photo d'illustration : Voix d'Afrique n°99 témoignage https://www.peresblancs.org/pino_locati.htm

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