La philosophe Ariane Bilheran, à laquelle je me réfère si souvent en raison de la lucidité de ses analyses, rédige en ce moment un ouvrage où sera traitée la problématique de notre responsabilité et de notre culpabilité aux uns et aux autres, face à la montée du totalitarisme. Elle a bien voulu faire quelques confidences au début de l’année sur les fruits de sa réflexion. La question qu’elle s’est posée en particulier était de savoir comment refaire société après de telles fractures au sein de la population.
Pour refaire société, encore faut-il remettre en place les bases du droit, dont on a vu précédemment qu’il avait disparu, qu’il avait été lui aussi suspendu en même temps que les soignants. La conséquence fut une irruption de totalitarisme comme on n’en avait jamais connue. Bilheran martèle alors : étant donné qu’il y a eu des victimes entièrement innocentes et sacrifiées et des personnes qui ont intentionnellement voulu nuire à ces victimes, la Justice doit être rendue. Si elle ne l’est pas, cela fera le jeu de la barbarie, puisque des crimes n’auront pas été punis. En ce qui concerne les victimes innocentes et les criminels entièrement coupables, la situation ne souffre aucune discussion. Le sort des derniers doit passer par la case Justice. En revanche, concernant le reste de la population, elle devra se questionner sur ses motivations et son comportement ambigu.
Dans un premier temps, ces gens pourront toujours dire pour se dédouaner, non qu’ils ne savaient rien, mais qu’ils n’ont fait que suivre les directives officielles et qu’ils ne pouvaient soupçonner leurs dirigeants d’être aussi malintentionnés. La motivation de ces conformistes pourra toujours trouver une justification psychologique. Ils pourront effectivement recourir à l’explication de l’ingénierie sociale. Ils pourront avancer qu’ils ont été endoctrinés, aveuglés par les médias. Freud disait le moi n’est pas maître dans sa propre maison, rappelle Bilheran, illustrant par là les dommages de la propagande dans une certaine frange de la population. Mais ils ne pourront se contenter de cette seule explication pour se justifier et être réhabilités. Car, nous dit Ariane Bilheran, de même que ce n’est pas l’épidémiologie qui doit conduite la politique d’une société, de même ce n’est pas la psychologie qui doit conduire cette société. Ce qui doit conduire une société, c’est le droit et avec lui la protection de l’intégrité des individus.
Or la Justice n’est jamais faite. Au mieux elle demeurera sommaire, craint la philosophe. La grande majorité de la population se trouvera toujours des excuses pour son attitude lâche, voire complice. Et en effet, sans un concours passif des masses, il n’y a point de totalitarisme. Donc on ne peut pas exonérer de ses responsabilités la partie de la population qui s’est rendue complice.
Et c’est là où veut en venir avec justesse, après avoir réclamé justice, Ariane Bilheran. Il ne suffit pas de dire, comme le fit jadis Georgina Dufoix dans l’affaire du sang contaminé, sorte de répétition du scénario covid : « Je me sens tout à fait responsable. Pour autant, je ne me sens pas coupable ». Telle fut à l’époque, en 1992, la posture de la ministre des affaires sociales. Peut-être aurait-elle dû se sentir coupable justement ! Quoiqu’il en soit, on entendra la même rengaine sortir de la bouche de tous ces gens. Ils ne nieront pas leur responsabilité, mais rejetteront toute part de culpabilité à avoir laissé faire. Le plus déroutant dans tout ça est que ces personnes, qui refusent de se considérer un tant soit peu coupables, peuvent aussi être des victimes. Mais, avant tout, ce sont des êtres libres et pénalement responsables qui doivent faire face aux conséquences de leurs actes. Aussi nier sa part de culpabilité après avoir admis sa part de responsabilité par manque de vigilance, laisse la porte ouverte encore une fois à la barbarie. De cela, ils sont redevables à la société. Il faut donc que ceux qui n’ont pas le courage d’aller jusqu’au bout de l’introspection soient amenés à la faire eu égard à leur responsabilité civile. Sinon, jouer les Georgina Dufoix engagera les générations suivantes à s’accommoder d’horreurs encore bien pires.
Si nous, citoyens responsables, sommes donc coupables, de quoi éventuellement le sommes-nous ? Nous le sommes, pour le moins, de nous être endormis sur les acquis d’après-guerre : démocratie, intégrité des élites, progrès social… Nous avons abandonné l’exercice de nos prérogatives. Nous nous sommes laissé déposséder. Au fur et à mesure que l’oligarchie s’est accaparée les leviers de nos sociétés, nous avons renoncé par peur, par conformisme ou carrément par démission à notre droit de regard sur les affaires publiques. Nous lui avons délégué tous les pouvoirs sans aucun contrôle, sans aucun garde-fou. Pire, nous avons accepté ses crimes sans mot dire, nous avons accepté que les dénonciateurs de ces crimes se fassent lyncher, nous avons tout accepté, même qu’un référendum nous soit volé. Comme il m’est déjà arrivé de le dire, les américains n’auraient jamais dû se résigner à ne pas voir désignés les vrais assassins de JFK, de même que nous n’aurions jamais dû accepter que le résultat du référendum de 2005 soit bafoué par la même pègre dirigeante. Pour l’heure, nous ne devrions jamais nous résigner à ne pas savoir la vérité, toute la vérité et rien que la vérité sur le covid et sur les criminels qui sont derrière.¾
Photo d'illustration : La philosophe Ariane Bilheran