Créer un site internet

Les nostalgiques d’Assad

Le 22/12/2024

Dans Actualités

La chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie a dévoilé un visage peu amène des souverainistes. Alors qu’ils ne manquent pas une occasion d’invectiver Netanyahu, de le traiter de génocidaire à l’instar des islamo-gauchistes, ils nous présentent le dictateur à la retraite Bachar comme un dirigeant dévoué à son peuple. Oublié, par exemple, Yarmouk, l’immense camp de réfugiés palestiniens de la banlieue de Damas, où vivaient 150 000 âmes, qu’il a détruit pendant la guerre civile pour le reprendre à l’Etat islamique, à l’aide de milices palestiniennes. Pourtant cet épisode n’est pas si loin de nous. Il date de mai 2018. Il est vrai que, pour les souverainistes, un alaouite qui rase un camp palestinien est moins susceptible de critiques qu’un juif qui procède de même à Gaza.

Pourquoi faut-il que même les ennemis des mondialistes perdent la tête dès qu’il s’agit d’Islam et du monde arabo-musulman. Pour eux le monde est fait de bons et de salauds une fois pour toutes, et Poutine et Bachar font partie une fois pour toutes des bons. Ils ne vont pas plus loin. Ce simplisme me déconcerte. Je l’avais déjà dénoncé lorsqu’il sortait de la bouche du présentateur de l’Alliance humaine, Antoine Cuttita. Pourquoi s’en prendre à nos mondialistes, si c’est pour lâchement fermer les yeux sur les crimes des dirigeants des BRICS ou de leurs protégés ?

Messieurs qui crachez tous les jours sur le seul Israël, regardez mieux la photo d’illustration. Non ce que vous voyez ne sont pas les ruines de Gaza et ne sont pas le fait de l’ignoble Netanyahu ! C’est ce qui est resté de Yarmouk après le passage des forces de votre ami Bachar. Mais évidemment avec une mauvaise foi patente, vous taisez les crimes des uns pour ne vous occuper que des « crimes » de l’autre. Méthode fort usitée chez les mondialistes que vous dénoncez tant, mais dont vous usez à votre tour. Et puis, croyez-vous que des enfants palestiniens n’aient pas trouvé la mort en grand nombre à Yarmouk ? L’avez-vous seulement un jour évoqué dans vos éditos ? Avez-vous montré des photos de ces morts ? En avez-vous imputé alors la faute à votre regretté Assad ? L’avez-vous traité de génocidaire ? Bien sûr que non. Pire, aujourd’hui vous venez faire son panégyrique.

Screenshot 20241214 074704 samsung internet
Screenshot 20241214 112117 youtube

Bel exemple d'un deux poids deux mesures

Sans m’appesantir mais tout de même, j’ai surpris un fin analyste comme Alexis Cossette tresser lui aussi des louanges à Bachar, le qualifiant de lion. Je sais bien qu’il connait à merveille la politique nord-américaine, mais je sais aussi qu’il ignore tout ou presque du monde islamique. Je crois surtout qu’en ménageant Bachar il a souhaité éviter les critiques acerbes des défenseurs de tous bords du dictateur syrien. Pourtant, rappeler qui est Bachar el-Assad ne signifie pas adhérer à la stratégie de son ennemi, la CIA. C’est énoncer des réalités, voilà tout. Mais, après l’épisode algérien, Cossette a flanché. C’est regrettable. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, il n’est pas de ceux qui ont la hardiesse de porter le fer contre deux totalitarismes à la fois. D’autres, me direz-vous, ont fait pire. Sur GPTV, avec Lara Stam, ils ont carrément revisité les événements syriens de manière déraisonnable, ne se basant que sur des intuitions, voire des présupposés et non des faits avérés. Lara Stam a même osé soutenir qu’à la veille de son « printemps arabe » la Syrie faisait figure de pays prospère et qu’elle connaissait un « âge d’or » sous Bachar, avant 2011. Des méfaits et des crimes de son père et de Bachar lui-même nulle mention, vous pensez bien. De Yarmouk non plus. Ecoutez plutôt Gilles Kepel qui a fait ses études à Damas parler de la famille Assad, et vous saurez ! Non, c’est tout juste si elle n’a pas comparé Bachar à de Gaulle. Son interlocuteur, le syrien Adnan Azzam, l’a bien reprise, mais c’est pour mieux fustiger Israël d’avoir attaqué la Syrie après le 7 octobre 2023. Seulement ce qu’Adnan Azzam a négligé de dire c’est que son pays avait ouvert bien avant ses portes à l’Iran et qu’il avait collaboré avec la République islamique dans l’intention de détruire Israël. Bachar fut de ce point de vue le meilleur allié du Hezbollah, et l’on voudrait que cela n’ait eu aucune conséquence. Alors non, Israël n’a pas frappé la Syrie sans motif préalable. La politique de Bachar de laisser les coudées franches à l’Iran sur son sol est la principale responsable de ce qui arrive. Elle équivalait à une déclaration de guerre. Si elle était restée neutre, la Syrie se serait épargné bien des représailles israéliennes. Mais passons. Affirmer également comme je l’ai entendu que l’axe russo-irano-syrien en sort gagnant est proprement consternant. Comme si la Russie ne s’était pas repliée, comme si Bachar n’était pas tombé et n’avait pas fui, et comme si l’Iran n’avait pas perdu ses positions en Syrie. Même Qassem, le nouveau chef du Hezbollah, a admis que « la route de l’approvisionnement depuis l’Iran était perdue ». Et l’Iran y aurait gagné malgré tout ? Quel genre de géo-politologues est-ce là ! Cet égarement des commentateurs souverainistes, décalqué sur les vieilles hantises arabophiles du Quai d’Orsay, dérive inlassablement d’une vision monomaniaque et partisane.

Voilà bien le révélateur de leur partialité, le fait qu’ils se réjouissent que le dirigeant israélien soit condamné par la CPI tout en oubliant que Poutine qu’ils défendent bec et ongles se trouve dans le même cas. Alors il faudrait savoir s’ils font bien de placer leur confiance dans la CPI ! Et puis invoquer le terme de génocide à propos de Gaza quand on ne réclame toujours pas de la Turquie ni d’Erdogan qu’ils reconnaissent le génocide arménien, cela soulève des questions d’équité venant de la part de nos souverainistes. Si je m’indigne de leur facilité à accabler Israël et seulement Israël, c’est bien parce qu’ils piétinent les grands principes au nom desquels ils décrient les injustes procédés mondialistes pour les reproduire en falsifiant l’histoire du conflit israélo-arabe.

Discutons maintenant des deux hommes forts du monde arabo-musulman actuel, la Turquie et l’Iran, Erdogan et Khamenei. La Turquie d’abord. Ses forces et celles pro-turques se massent à cette heure à la frontière avec la Syrie, ce qui pourrait annoncer une invasion, rapporte le Wall Street Journal. Le but de la Turquie reste bien entendu de régler leur sort aux Kurdes soutenus par les américains. D’ailleurs Gilles Kepel a clairement affirmé que la Turquie avait téléguidé al-Jolani et même Trump a pointé du doigt la Turquie pour sa responsabilité dans la chute du régime syrien, ce que confirme l’analyste stratégique de Fox News : «  … [Erdogan] a soutenu le leader radical qui a pris le pouvoir, al-Jolani, pour destituer Assad parce qu’il voulait depuis des années qu’Assad parte […] Maintenant que fait-il ? Il attaque les Kurdes syriens… » Ilham Ahmad, de l’administration autonome kurde, a même affirmé que les Etats-Unis et la France faisaient pression  sur la Turquie pour qu’elle cesse ses attaques dans le nord-est de la Syrie. Or la Turquie a prévenu Israël qu’elle abattrait ses avions s’ils venaient secourir les Kurdes syriens, ceux-ci s’étant tournés vers Israël pour lui demander du soutien dans leur lutte contre les militants pro-turcs. Etonnamment nos chroniqueurs sur GPTV n’ont guère d’état d’âme à propos du sort des Kurdes et ne s’émeuvent pas des opérations menées contre eux par les forces turques. On aura remarqué que ce qui n’est pas palestinien ne les bouleverse pas. Quand le méchant Israël n’est pas le coupable direct, cela n’attire guère leur attention, exactement comme à gauche.

Du projet Grand Israël j’en entends beaucoup parler. En mal forcément. Cependant du projet Grande Turquie jamais. Pourquoi ? Comme le note Le Courrier de l’Indien, « Erdogan est musulman, Frère musulman, panturc et néo-ottoman. Il cherche à restaurer l’empire ottoman. » Plusieurs sources le corroborent. Pour commencer, l’Organisation des Etats turcs placée sous l’aile d’Ankara traduit bien l’influence de la Turquie dans la région et surtout ses prétentions. La télé turque n’hésite pas quant à elle à parler d’expansion territoriale. Les ambitions d’Erdogan dépassent incontestablement les frontières actuelles du pays. Il n’en fait pas mystère. Devant ses collègues du parti réunis à Sakarya il y a peu, il entendait rebattre les cartes, celles issues de la Première guerre mondiale, et « récupérer » d’anciennes marches de l’Empire ottoman. « Les villes que nous appelons Alep, Idlib, Damas et Raqqa, leur a-t-il confié, deviendront nos provinces, comme Antep, Hatay et Urfa ! » Le 19 décembre encore, commentant les événements en Syrie, il déclarait que son pays ne pouvait pas se confiner à ses frontières actuelles et a promis de poursuivre ses interventions militaires dans d’autres pays. Le Sultan manquerait-il d’espace vital ? Remarquez qu’aucun de nos brillants géo-politologues, Ferreira, Stoquer ou autres, n’y trouvera à redire. Il s’agit d’un non-sujet pour eux. Aucun ne le défiera ! Comme Le courrier de l’Indien ne le leur envoie pas dire : « La Turquie sera-t-elle sanctionnée pour épuration ethnique, génocide (ce n’est pas son premier) ? Erdogan sera-t-il mis en examen par la CPI ? » Toutes ces questions sont éludées par nos géo-politologues de plateau non mainstream, alors qu’elles sont systématiquement traitées, et dans le même sens, du moment qu’elles s’appliquent à Israël et à Netanyahu. Si la Turquie envahit le Kurdistan, si la Russie envahit la Crimée et le sud de l’Ukraine [et si vous n’y voyez aucune objection], quel est donc votre problème avec les israéliens ?, semble leur lancer Le Courrier de l’Indien. Les souverainistes ne voient en effet aucune raison pour que Poutine n’annexe pas les quatre oblasts disputés à l’Ukraine, une fois la guerre terminée. Ils le disent. Ils l’admettent. D’un conflit il en ressort un nouveau découpage territorial et c’est ainsi. Et certains territoires échoient au vainqueur. Alors pourquoi vont-ils encore s’indigner si Netanyahu annexe le Golan après la chute de l’ennemi Bachar ? Ce qu’ils ne feront jamais contre Poutine, Khamenei ou Erdogan. Pourtant Israël a montré par le passé qu’il pouvait troquer la paix contre la restitution de territoires comme le Sinaï. Mais qui le reconnait ?

Passons à l’Iran. Mohsen Sazegara, cofondateur du Corps des Gardiens de la Révolution (CGRI), a confirmé au grand reporter Emmanuel Razavi qu’un schisme s’opérait bien entre plusieurs courants parmi les dirigeants iraniens. Bien sûr il y a plus que jamais les idéologues, néanmoins il existe aussi des pragmatiques qui ne veulent pas d’un affrontement avec Israël, qui conduirait le pays au chaos. En fait l’Iran a un problème similaire au nôtre, un Etat profond dans l’Etat qui a tout noyauté. En Iran, il porte un nom. C’est ainsi plus facile de le cibler. Il s’appelle le CGRI, avec ses pasdarans et ses bassidjis. Mustafa Hijri, le leader du Parti démocrate kurde, autre source d’Emmanuel Razavi, lui a également confirmé qu’il existait « de nombreuses dissensions au sein du régime, y compris entre Khamenei et les gardiens de la révolution. La République islamique est à bout. Elle fait face à trop de crises. »

A l’attention des obnubilés du Grand Israël, qu’ils sachent qu’existe aussi un projet Grand Iran. Ils doivent l’ignorer puisque je ne les entends jamais en parler. Dans le monde arabe, il circule que, sous prétexte de libérer la Palestine, l’Iran a l’intention d’occuper la Syrie, le Liban, le Yémen et l’Irak, ce qu’elle faisait plus ou moins déjà, vous me direz. Et les pays du Golfe auraient conscience de ce plan.

Maintenant voyons à la lumière des événements en Syrie quelle tournure la reconfiguration du Moyen-Orient pourrait prendre. Plutôt que d’un Grand Israël, je n’accorde que peu de crédibilité et d’avenir à ce projet nourri par les extrémistes israéliens, je crois à un autre scénario désormais possible et qui satisferait Netanyahu et Trump : celui de la déstabilisation de l’Iran par des frappes aériennes sur ses installations nucléaires. La défense aérienne syrienne étant détruite, Israël pourrait utiliser l’espace aérien de la Syrie pour attaquer l’Iran. Les médias israéliens s’en font l’écho. Je crois pouvoir avancer que ce sera avec l’assentiment de Trump, qui sait que pour amener la paix au Moyen-Orient la disparition du régime des mollahs est un impératif. Jetez un œil sur la carte. Une frappe aérienne en provenance d’Israël nécessite de passer par l’Irak après la Syrie. Or, à la frontière nord irano-irakienne, les forces kurdes présentes pourraient venir en appui à l’aviation israélienne. Emmanuel Razavi, dans un chapitre de son livre La face cachée des mollahs, consacré au Kurdistan irakien, évoque à demi-mots un tel scénario. «… les Kurdes,  écrit-il, éventuellement appuyés par les Etats-Unis, la France et Israël, pourraient à terme utiliser leurs positions militaires dans le nord de l’Irak comme base arrière permettant aux Occidentaux de mener des opérations de renseignement et, éventuellement, de sabotage. » Les Kurdes sont aux avant-postes dans la lutte contre le pouvoir de Téhéran. Déjà, lors du mouvement de 2022, ils ont été à la pointe de la contestation. On se rappellera que la jeune Mahsa Amini, dont la mort dans les geôles iraniennes à cause d’un voile mal porté a déclenché le mouvement en question, était kurde. Razavi écrit encore : « Des sources de renseignements français et britanniques assurent que le Mossad aurait lancé des opérations ciblées contre l’Iran depuis cette région [du Kurdistan irakien] en s’appuyant sur le soutien des peshmergas iraniens. L’un de ses drones aurait bombardé une usine d’armement à Ispahan dans la nuit du 28 au 29 janvier 2023. » D’autres attaques de ce genre ont eu lieu sur Ispahan en avril 2024. Un diplomate français le lui a même assuré : « En cas d’attaque israélienne contre l’Iran, le Kurdistan irakien pourrait servir de base arrière. » Pour le géopolitologue Frédéric Encel cependant, une « intervention israélienne contre l’Iran ne pourrait être que chirurgicale et ciblée sur des sites nucléaires. » On voit que la chute de Bachar el-Assad ouvre la voie à l’anéantissement de la force de frappe nucléaire iranienne, ce qui fragiliserait le régime des mollahs et qui annoncerait, après leur perte d’influence sur l’échiquier politique régional, leur perte de pouvoir de nuisance sur le plan intérieur. Enfin même Nicolaj Starikov, le journaliste russe peu favorable à Netanyahu, évoque une telle escalade.

Screenshot 20241219 114955 telegram
Screenshot 20241219 222309 samsung internet

Afin de nous faire regretter Bachar el-Assad, on n’arrête pas de dire que les minorités, entre autres chrétiennes, étaient protégées sous son ère. Oui, il les soutenait, comme la corde soutient le pendu. On en a dit autant de Saddam Hussein. Mais si ces minorités ont été soi-disant protégées, c’est parce qu’elles savaient se comporter en louangeuses du dictateur. En bons dhimmis, quoi. Qui plus est, cela flattait l’image de ces dictateurs panarabes auprès des occidentaux. Mais inversement les Druzes eux ne verraient pas d’un mauvais œil d’être placés sous protection israélienne plutôt que sous celle des islamistes du HTS. De cela aussi nos commentateurs souverainistes évitent de s’en faire l’écho.¾

 

Photo d’illustration : Des membres des forces pro-Assad dans les ruines de Yarmouk, le 22 mai 2018   © LOUAI BESHARA / AFP

×