De l’humanisme au transhumanisme

Le 27/12/2022

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Les mots sont piégés, c’est un truisme, une lapalissade. Aujourd’hui plus que jamais. Ainsi le mot république affuble-t-il les régimes les plus sanguinaires. Celui de démocrates, comme aux Etats-Unis, désigne des politiciens que n’auraient pas reniés les régimes totalitaires de l’Est. Prenez encore la Fédération de la Libre Pensée. Voilà un titre bien ronflant. Et pourtant, concernant cette association subventionnée à hauteur d’un demi-million d’euros, comment imaginer qu’elle soit indépendante du pouvoir qui la rémunère grassement et qu’elle mérite le titre qu’elle s’est généreusement attribué ? Et, en outre, comment croire qu’elle défend une pensée libérée de toute chaîne, alors qu’elle harcèle les mairies pour supprimer des crèches de Noël. Drôle de conception de la liberté de penser ! Les mots décidément semblent cacher une nature opposée à leur acception dans le dictionnaire, à force de se vendre au plus offrant.

Si l’on cherche maintenant dans le Robert un mot comme humanisme, que lit-on ? En philosophie, il s’agit d’une doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs. En Histoire, c’est un mouvement de la Renaissance caractérisé par un effort pour relever la dignité de l’esprit humain et le mettre en valeurs. Mais lorsqu’on se réfère aux fameuses valeurs humanistes, et j’en ai souvent fait usage ici, que sous-entend-on ? L’expression est trop vague pour qu’on sache à quoi ces valeurs correspondent au juste, si on ne précise pas le sens qu’on lui donne.

L’humanisme, en tant que courant de pensée, est né en opposition aux excès du christianisme, avant même le déclenchement des guerres de religion, au début du XVIème siècle. Erasme en est le père incontesté. Seulement cet humanisme est devenu à travers les âges une religion à part entière. Dans le manifeste humaniste de 1933, puis dans sa version de 1973, il est bien spécifié que l’humanisme représente la nouvelle religion qui pourra remplacer l’ancienne [à savoir le christianisme]. En fait, cet humanisme n’est qu’un banal athéisme dans lequel l’homme a pris la place jusque-là occupée par le divin. L’homme s’installait de facto sur le trône céleste tel un usurpateur. Cet humanisme professé par les new agers, les francs-maçons et les marxistes n’est au fond qu’une autocélébration. Le culte de l’homme par l’homme.  Voilà tout son sacré.

Aussi peut-on se demander si l’on parle du même humanisme, quand on requiert bienveillance, compréhension, tolérance et empathie envers son prochain. Ou quand on prône que tout ce qui touche à l’humain ne doit pas nous être étranger. Ou encore quand on réclame d’une conduite de vie qu’elle ne fasse jamais l’impasse de la faillibilité de la nature humaine.

Or l’humanisme dont se réclame le mondialisme ou la Franc-maçonnerie ou encore le communisme n’a en réalité rien à voir avec la philosophie précédente. Leur humanisme est aussi présomptueux à affirmer que l’univers est incréé que la foi du charbonnier à prêcher que le divin l’a créé. Regardez donc le fanatisme des écologistes, anciens marxistes reconvertis, à l’encontre des crèches, considérées comme des symboles de la vieille religion. Leur intolérance rivalise avec celle du Grand Inquisiteur. S’en aperçoivent-ils seulement ? Un tel humanisme n’est qu’une inquisition déguisée en hussard de la république.

Il est un exemple fort symbolique, c’est celui de Julian Huxley, le frère du célèbre écrivain Aldous Huxley, l’auteur du Meilleur des mondes. Bien moins exposé à la lumière des projecteurs, Julian a eu pourtant de l’influence. Premier directeur de l’UNESCO, il fut à l’occasion signataire du deuxième manifeste humaniste, ce qui ne l’empêcha pas d’être un eugéniste forcené. Mais voyant que l’eugénisme avait acquis mauvaise presse après ses ravages sous le nazisme, il se tourna vers le transhumanisme. En fait, il troqua un mot pour un autre. Il renonça à un mot malpropre et trop connoté pour un mot plus moderne et honorable en apparence. Mais le fond n’avait guère changé.

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Julian Huxley

Aujourd’hui que l’on a entraperçu le véritable visage du transhumanisme, que l’on a entendu Laurent Alexandre expliquer, avec exaltation, à un auditoire trié sur le volet qu’il y avait d’un côté la race des seigneurs et de l’autre, celle des gueux, que l’on constate que le transhumanisme n’est rien d’autre qu’un eugénisme revisité par les biotechnologies, et que transhumanisme rime avec nazisme mieux encore qu’eugénisme, on peut se poser la question de savoir comment un Julian Huxley pouvait être dupe, comment pouvait-il se prétendre à la fois humaniste et transhumaniste. Même si l’homme augmenté n’était encore qu’une fiction à l’époque d’Huxley, comment la contradiction ne lui a-t-elle pas sauté aux yeux ? A moins encore une fois que les mots aient été volontairement galvaudés.

Si Huxley a vraiment été un humaniste, alors je ne désire plus en être un. Le maître-mot de tolérance a-t-il jamais été de leur vocabulaire dans cette fantasmagorie débridée de vouloir améliorer l’homme par tous les moyens, les plus inhumains soient-ils ?

Comme le dit le juriste Alexandre Havard, « on ne croit plus en la nature humaine, ça n’existe plus, la nature humaine ». C’est précisément là le but du transhumanisme de Huxley, comme celui de son humanisme trompeur.

Ces pseudo-humanistes, qui pullulent chez les mondialistes, ont un culot monstre. Devant les preuves de leurs méfaits, ils ne font pas d’aveu, n’ont pas de regret et font encore moins contrition. Juste se confondent-ils en dénégations et en mensonges à répétition. En usant donc de mots pour d’autres. C’est le propre de la perversion du langage. L’humanisme à force d’avoir été employé à tort et à travers s’est retourné contre l’homme.

Pourtant l’humanisme à la Montaigne partait dans la bonne direction, pétri de bonnes intentions qu’il était. L’analyse personnelle et la réflexion autonome y occupaient une place de choix. Il faisait même appel à un scepticisme de bon aloi contre tous les dogmatismes. Cet humanisme-là aurait conduit tout droit Montaigne aujourd’hui à être qualifié de complotiste.

Pour montrer combien le terme d’humaniste n’est en réalité qu’un fourre-tout, citons un autre humaniste, Carl Sagan. Consacré humaniste de l’année 1981 à titre posthume par l’Association Humaniste Américaine, le penseur astronome était bien plus proche de Montaigne que de Huxley. Ecoutons-le peu avant sa mort dans une sorte de testament audiovisuel adressé à l’humanité : « Tôt ou tard, ce mélange combustible d’ignorance et de pouvoir nous explosera à la figure […] La science est plus qu’un ensemble de connaissances. C’est une façon de penser, une façon d’interroger l’univers avec scepticisme, avec une fine compréhension de la faillibilité humaine. Si nous ne sommes pas en mesure de poser des questions de manière sceptique, […] d’être sceptique à l’égard de ceux détenant l’autorité, alors nous sommes à la merci du premier charlatan venu, homme politique ou religieux […] Il faut que le peuple exerce son scepticisme, sinon nous ne dirigeons pas le gouvernement, le gouvernement nous dirige. » Un vrai présage de la part d’un humaniste, comme je les aime.

Dans la période actuelle on ne sait plus à quel saint politique se vouer. L’idéologie de gauche est en pleine décomposition. Elle a montré ses outrances comme avant, en son temps, les mouvements ultraréactionnaires avaient montré les leurs. Aujourd’hui que faire et quelle voie choisir ? Je l’ignore. Cependant on ne pourra pas faire l’économie de réflexions mûries et de débats animés. Avant toutes choses cependant, le langage devra subir un ravalement de façade, tant il a souffert d’outrages. Les médias de boue et de fange y auront largement contribué. Il faudra nettoyer les écuries d’Augias, car la prédiction de Nietzsche s’est réalisée : « Encore un siècle de journalisme, avait-il prophétisé, et les mots pueront ! » Eh bien, c’est fait. Les mots empestent à l’heure actuelle comme jamais.¾

 

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